Introduction

Louis XVI avait été exécuté le 21 janvier 1793 au matin. Marie Antoinette le sera le 16 octobre de la même année. Durant ce premier trimestre de l'année 1793 les Girondins et les Montagnards vont se confronter dans un duel mortel.
Ce pamphlet, écrit en mai 1793 par Camille Desmoulin, accuse Brissot et les Girondins (le "côté droit" de la Convention nationale) de conspirer contre la République. Dans peu de temps de nombreux girondins de la Convention nationale seront condamnés à mort, d'autres arrêtés. Brissot est mis en arrestation avec ses amis le 2 juin 1793, il s'enfuit mais est arrêté à Moulins. Il est condamné à mort le 30 octobre 1793 et exécuté le lendemain. Les procès étant considéréscomme trop lents de nouvelles mesures vont être prises , mais pas en faveur des accusés.

HISTOIRE DES BRISSOTINS

OU FRAGMENT DE L’HISTOIRE SECRÈTE DE LA RÉVOLUTION ET DES SIX PREMIERS MOIS DE LA RÉPUBLIQUE.
Par Camille Desmoulins, Député de Paris à la Convention.

Est-ce que des fripons la race est éternelle ?

De l’imprimerie patriotique et républicaine rue Saint-Honoré, n°. 355, vis-à-vis l’Assomption 1793. Source

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On dut porter envie à ceux qui venaient d’être nommés députés à la Convention. Y-eut-il jamais une plus belle mission ? Une plus favorable occasion de gloire ? L’héritier de 65 despotes, le Jupiter des rois, Louis XVI prisonnier de la Nation et amené devant le glaive vengeur de la justice ; les ruines de tant de palais et de châteaux et les décombres de la monarchie toute entière, matériaux immenses devant nous pour bâtir la constitution ; 90 mille prussiens ou autrichiens arrêtés par 17 mille français ; la nation toute entière debout pour les exterminer; le ciel s’alliant à nos armes et auxiliaire de nos canonniers par la dysenterie ; le roi de Prusse, réduit à moins de 40 mille hommes effectifs, poursuivi et enveloppé par une armée victorieuse de 110 mille hommes ; la Belgique, la Hollande, la Savoie, l’Angleterre, l'Irlande, une grande partie de l'Allemagne, s’avançant au-devant de la liberté, et faisant publiquement des vœux pour nos succès : tel était l’état des choses à l'ouverture de la convention. La république française à créer, l’Europe, à désorganiser, peut-être à purger de ses tyrans par l’éruption des principes volcaniques de l’égalité ; Paris moins un département que la ville hospitalière et commune de tous les citoyens des départements, dont elle est mêlée et dont se compose sa population, Paris qui ne subsistait que de la monarchie et qui avait fait la république, à soutenir, en le plaçant entre les Bouches-du-Rhin et les Bouches-du-Rhône, en y appelant le commerce maritime par un canal et un port ; la liberté, la démocratie à venger

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de ses calomniateurs, par la prospérité de la France, par ses lois, ses arts, son commerce, son industrie affranchie de toutes les entraves et prenant un essor qui étonnait l’Angleterre, en un mot, par l'exemple du bonheur public; enfin le peuple qui, jusqu’à nos jours n’avait été compté pour rien, le peuple que Platon lui-même, dans sa république toute imaginaire qu’elle fût, avait dévoué à la servitude, à rétablir dans ses droits primitifs, et à rappeler à l’égalité: telle était la vocation sublime des députés à la convention. Quelle âme froide et rétrécie pouvait ne pas s’échauffer et s’agrandir en contemplant ces hautes destinés.

Qui nous a empêchés de remplir cette carrière de gloire ? de quel côté sont les ennemis de la République, les factieux, les véritables anarchistes, les conspirateurs, les complices de Dumourier, de Pitt et de la Prusse ?

Il est temps enfin, de les signaler et d'en faire justice. Et dans la masse des faits que je vais recueillir, ce sera, pour les départements, leur acte d’accusation que j'aurai rédigé : et pour l'histoire, le jugement uniforme de la postérité, que j’aurai prononcé d’avance.

Il y a quelques jours, Pétion gémissait en ces termes à la Convention : « De quoi nous sert-il de réfuter une calomnie ? On la coule à fond aujourd'hui, elle surnage le lendemain. On la réfute à la tribune, on l’y chasse de tous les esprits; elle y rentre le lendemain par les journaux, et on en est assailli dans la rue. Quand est-ce donc qu'on posera sur le papier, et non en l'air, une série de griefs, à laquelle nous puissions répondre article par article ? Vous allez être content, Pétion, vous et les vôtres. Je vais vous présenter cette série de griefs, et je suis curieux de voir comment vous pourrez répondre à mon interrogatoire sur faits et articles.

D'abord une observation préliminaire, indispensable, c'est qu'il y a peu de bonne foi de nous demander des faits démonstratifs de la conspiration. Le seul souvenir qui reste du fameux discours de Brissot et de Gensonné, pour démontrer l'existence du comité autrichien, c'est qu'ils soutenaient, avec grande raison, qu'en matière de conspiration, il est absurde de demander des faits démonstratifs et des preuves judiciaires, qu'on n’a jamais eues, pas même dans la

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conjuration de Catilina, les conspirateurs n'ayant pas coutume de se mettre si à découvert. Il suffit d'indices violents. Or, je vais établir contre Brissot et Gensonné l'existence d’un comité Anglo-Prussien, par un ensemble d'indices cent fois plus forts que ceux par lesquels eux, Brissot et Gensonné prouvaient l'existence du comité autrichien.

Je mets en fait que le côté droit de la Convention, et principalement les meneurs, sont presque tous partisans de la royauté, complices des trahisons de Dumourier et Beurnonville, dirigés par les agents de Pitt, de d'Orléans et de la Prusse, et ayant voulu diviser la France en 20 ou 30 Républiques fédératives, ou plutôt la bouleverser, pour qu’il n'y eût point de République, je soutiens qu'il n'y eut jamais dans l'histoire une conjuration mieux prouvée, et par une multitude de présomptions plus violentes que cette conspiration, de ce que j'appelle les Brissotins , parce que Brissot en était l’âme contre la République française.

Pour remonter aux éléments de la conjuration, on ne peut nier aujourd'hui, que Pitt, dans notre révolution de 1789, n'ait voulu acquitter sur Louis XVI, la lettre de change tirée en 1641 par Richelieu sur Charles I. On sait la part qu'eut ce cardinal aux troubles du long parlement, où il pensionnait les plus zélés républicains; et bien des évènements depuis m'ont fait ressouvenir de la colère que montra Brissot, il y a trois ans, quand un journaliste aristocrate, ayant déterré le livre rouge de Richelieu et de Mazarin y trouva, à livres, sous et deniers, les sommes que ces ministres avaient comptées à Fiennes et Hamden, pour leur zèle à demander la République. Ceux qui lisaient le patriote français peuvent se souvenir avec quelle chaleur, Brissot, craignant l’application, se fit le champion du désintéressement des républicains anglais. Pitt avait encore à prendre sa revanche des secours donnés par Vergennes aux insurgens Anglo-américains. Mais, depuis le 10 août, il s'est trouvé qu'au grand déplaisir de Pitt et de Brissot, ils avaient mené la liberté, plus loin qu’il ne convenait à l'Angleterre ; et Pitt et Brissot se sont efforcés d'enrayer. Quand le général Dillon affirmait, il y a quatre ans, à la tribune du corps constituant qu’il savait, de science certaine, que Brissot était l'émissaire

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de Pitt, et sonnait du cor pour le compte du ministère anglais ; on n'y fit pas beaucoup d'attention, parce que Dillon était du côté droit. Mais ceux qui ont suivi les marches et contre‑marches de Brissot, depuis ses écrits sur la traite des noirs et les colonies, jusqu'à l'évacuation de la Hollande et de la Belgique, peuvent-ils nier qu'on ne trouverait pas peut-être une seule page dans cette masse de volumes, qui ne soit dirigée au profit de l'Angleterre et de son commerce et à la ruine de la France?

Est-ce qu'on peut me nier ce que j'ai prouvé dans un discours dont la société se souvient encore ? Celui que je prononçai sur la situation politique de la nation, à l’ouverture de l'assemblée législative, que notre révolution de 1789 avait été une affaire arrangée entre le ministère britannique et une partie de la minorité de la noblesse, préparée par les uns, pour amener un déménagement de l'aristocratie de Versailles dans quelques châteaux, quelques hôtels, quelques comptoirs : par les autres, pour amener un changement de maître : par tous, pour nous donner les deux chambres et une constitution à l'instar de la constitution anglaise. Lorsque je prononçai ce discours à la société, le 21 Octobre 1791, où je montrais que les racines delà révolution étaient aristocratiques, je vois encore la colère et les soubresauts de Sillery et de Voidel, quand je parlai des machinistes de la révolution. Je glissai légèrement là-dessus, parce qu'il n'était pas tems encore, et qu'il fallait achever la révolution avant d'en donner l'histoire. Je voulais seulement laisser entrevoir à Sillery que ses pensées les plus secrètes ne nous échappaient pas, que nous le tenions en arrêt, et qu'il ne s’imaginât point que chez lui et à Bellechasse, la harpe de Mme. Sillery et les séductions plus fortes de ses sirennes, avaient amené toute mon attention sur le bord de mes yeux et de mes oreilles pour admirer, et n'avaient point laissé, le temps à mon esprit observateur de poursuivre ses opérations, et de lever ses plans de république.

Me fera-t-on croire que lorsque je montais sur une table le 12 juillet, et que j'appelais le peuple à la liberté, ce fut mon éloquence qui produisit ce grand mouvement une demi-heure après, et qui fit sortir de dessous terre les deux bustes d'Orléans et de Necker ?

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Croit-on que dans les 15 jours que j'ai habités à Versailles chez Mirabeau, immédiatement avant le 6 Octobre où je le quittai, je n’aie rien vu des mouvements précurseurs de la journée du 5 au 6 ? croit-on que lorsque j'allai chez Mirabeau, au moment où il apprit que d'Orléans venait de partir pour Londres, sa colère de se voir abandonné, et ses imprécations dignes de Philoctète et celles de son secrétaire, et la figure pétrifiée de Servan, et dans ce temps-là, les liaisons de l'anglais Dumont et du Genevois Duroveray, leurs allées et venues de Paris à Londres, ne m'aient rien fait conjecturer.

N'est-ce pas un fait que Brissot a été secrétaire de Mme Sillery ou de son frère Ducrest ? N'est-ce pas un fait que ce fut Brissot et Laclos (car Danton n'y concourut point) qui furent les rédacteurs impunis de la pétition concertée avec Lafayette, et si funeste, du champ de Mars ? Brissot et Laclos ! c'est-à-dire, Lafayette et Orléans ? Le lecteur qui n'est pas au courant, s'étonne de trouver ces deux noms à côté l'un de l'autre. Patience, que j'aie débrouillé l'intrigue, et la surprise cessera tout-à-l’heure.

N'est-ce pas un fait que Pétion a fait le voyage de Londres dans une dormeuse avec Mme Sillery, et Mlles d'Orléans, Pamela, Sercey, qu'on pouvait appeler les trois grâces, et qui pressaient son genou vertueux et heureusement incorruptible; et que c'est à ce retour qu'il a été nommé maire de Paris? Pourquoi ce voyage si suspect ? quelle négociation si importante avait exigé qu'un si grand personnage que Jérôme Pétion, passât, la mer et s'abouchât avec Pitt ?

Pétion croit-il que je ne me souvienne pas, il y a trois ans, dans le temps où on m'avait cru bon à quelque chose, de mes dîners chez Sillery, dans le salon d'Apollon, où venaient aussi dîner, lui, Pétion, Voidel, Volney, Mirabeau, Barrere, tuteur de Pamela et autres républicains de cette étoffe, mais où en n’invitait jamais Robespierre.

Vous étiez donc aussi vous-même de la faction d’Orléans, me répète ici Barbaroux au sujet de ces dîners, mais je lui observe que dans ces premiers temps de la révolution, cette coalition se confondait tellement avec celle des amis de la liberté et de la république, qu'il y aurait eu de la stupidité de

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nous joindre à Maury et à Boucher d’Argis pour tirer sur nos troupes. Nous n’étions peut-être pas à Paris dix républicains le 12 Juillet 1789, ( 1 ) (1) Ces républicains étaient la plupart des jeunes gens, qui, nourris de la lecture de Cicéron dans les collèges s’y étaient passionnés pour la liberté. On nous élevait dans les écoles de Rome et d’ Athènes, et dans la fierté de la république, pour vivre dans l’abjection de la monarchie, et sous le règne des Claude et des Vitellius. Gouvernement insensé qui croyait que nous pouvions nous enthousiasmer pour les pères de la patrie, du capitole, sans prendre en horreur les mangeurs d’hommes, de Versailles, et admirer le passé sans condamner le présent, ulteriora mirari, prœsentia secuturos. et voilà ce qui couvre de gloire les vieux Cordeliers, d’avoir commencé l’entreprise de la République avec si peu de fonds ! quand on se souvient que c'est un Chapelier qui a posé la première pierre du club des Jacobins, on sent que dans l’abâtardissement de la génération cette statue de la liberté, notre idole, il nous a fallu la construire, comme le curé de Saint-Sulpice, sa vierge d’argent avec des pots de chambre. Ce qui nous a servi merveilleusement, c’est que tous les intrigants ayant besoin de la faveur populaire pour se faire remarquer de l'intendant Laporte, et de gagner d’abord la confiance du peuple pour gagner ensuite un plus fort dividende dans la liste civile, commençaient par attaquer la cour avec d’autant plus de chaleur, qu’ils voulaient s’en faire acheter plus cher; en sorte que les nouvelles recrues d'intrigants qui nous arrivaient aux Jacobins nous servaient à livrer bataille aux vétérans, à mesure que ceux-ci en émigraient. C’est ainsi que les Chapelier, les Beaumetz, les Desmeuniers étaient chassés des Jacobins par les Duport et les Barnave, et ceux-ci par les Brissot et les Roland. C’est ainsi qu’il nous a fallu terrasser le despotisme pur et simple de Calonne par les deux chambres de Necker, et les deux chambres de Necker par les deux sections de Brissot, Pétion et Buzot, et les citoyens actifs de Syeyes et Condorcet, jusqu’à ce qu’enfin soient venus les Sans-Culottes. C’est ainsi que tour-à-tour vaincus, Maury le royaliste, par Mounier les deux chambres ; Mounier les deux chambres, par Mirabeau le veto absolu, par Barnave le veto suspensif ; Barnave le veto suspensif, par Brissot qui ne voulut d’autre veto que le sien et celui de ses amis ;

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tous ces fripons balayés des jacobins les uns par les autres, ont enfin fait place à Danton, à Robespierre, à Lindet, à ces députés de tous les départements, montagnards de la Convention, le rocher de la République, et dont toutes les pensées n'ont jamais eu pour objet que la liberté politique et individuelle des citoyens, une constitution digne de Solon et de Lycurgue, la République, une et indivisible, la splendeur et la prospérité de la France, et non l’égalité impossible des biens, mais une égalité de droits et de bonheur. C’est ainsi que Necker, Orléans, Lafayette, Chapelier, Mirabeau, Bailly, Desmeuniers, Duport, Lameth, Pastoret, Cerutti, Brissot, Ramond, Pétion, Guadet, Gensonné, ont été les vases impurs d’Amasis, avec lesquels a été fondue, dans la matrice des Jacobins, la statue d’or de la République. Et au lieu qu’on avait pensé, jusqu’à nos jours, qu’il était impossible de fonder une République qu’avec des vertus, comme les anciens législateurs ; la gloire immortelle de cette société est d’avoir créé la République avec des vices. Déjà le lecteur voit que Necker, d’Orléans, Lafayette, Malouet, Chapelier, Dandré, Desmeuniers, Mirabeau, Duport, Barnave, Dumolard, Ramond, Dumouriet, Roland, Servan, Claviere, Guadet, Gensonné, Louvet, Pétion, Pitt, Brissot, Sillery, ne sont que les anneaux d’une même chaîne. C’est le même serpent coupé en différents tronçons, qui se rejoignaient sans cesse, pour siffler et s’élancer de même contre les tribunes, les jacobins, le peuple, l’égalité et la République. Déjà j’ai fait toucher au doigt la jointure entre Brissot et d’Orléans. (1) (l) Notez que par Orléans, ici je ne désigne pas précisément Philippe (sur qui individuellement je dirai mon opinion tout-à-l’heure, à la fin de la première partie de ces mémoires), mais plutôt la sphère d’ambition et d’intrigues, dans laquelle il tournait et par laquelle il était emporté, je veux dire la chancellerie d’Orléans, Ducrest, Laclos, Limon Brissot avec la coterie de cette Mme de Genlis, dont les démangeaisons allaient toujours en se dépravant, et qui avait remplacé celle si naturelle faire des Dunois et de la musique, par celle de faire des livres; celle d’être auteur de comédies par celle d’être docteur de Sorbonne; et enfin les douceurs de la dévotion, de la vie contemplative et d’être moine, par les plaisirs de la politique, de la vie active, et d’être surintendante et premier ministre, après qu’elle aurait fait de son élève, Mlle d’Orléans, une petite reine. J’achève de compléter l’ensemble irrésistible

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de preuves qui surprendront bien du monde, que Brissot, Pétion et la clique, n’étaient que les continuateurs de la faction d'Orléans. Comme depuis longtemps j’étais devenu suspect à Sillery, qui ne m'a plus invité, je n’ai pu continuer mes observations sur les lieux ; mais il m’a été facile de deviner que Louvet, Gorsas et Carra dinaient à mon couvert dans le salon d’Apollon ; quand j’ai vu que Louvet avait succédé à ma faveur, que Sillery ne quittait plus sa manche aux Jacobins, où il s’était fait son plus zélé champion ; quand j’ai vu Sillery, dans la discussion de la guerre, prendre si chaudement parti pour Louvet et Brissot, que je ne pouvais pas trop décider si c’était Sillery qui épousait leurs querelles contre Robespierre, ou si ce n’était pas plutôt eux qui épousaient les querelles de Philippe et de Sillery contre Robespierre trop républicain.

Quand je n’aurais pas remarqué l'indiscrétion de Carra n’ayant point de honte, à une certaine séance des Jacobins, il y a environ un an, de nous proposer pour roi le duc d’Yorck, ou quelqu’autre de la maison de Brunswick qui aurait épousé apparemment Mlle d'Orléans ; quand je n'aurais pas remarqué le choix fait, le 23 septembre, de Carra par le président Pétion, pour l’envoyer avec Sillery au camp de la Lune, observer Dumourier et assister à ses conférences avec Manseld, l’aide-de-camp du roi de Prusse ; j’aurais reconnu l’Amphitryon Sillery rien qu’à l’application de nos trois journalistes à dénigrer Robespierre et Danton, et c’est ici le lieu de faire une observation essentielle.

Une des ruses de nos ennemis qui leur a été mieux réussi dans la révolution, a été leur prévoyance à bâtir colossalement. Certaines réputations et à en démolir d’autres. L’aristocratie s’est toujours attachée à entretenir comme une réserve de coquins. Dans la crainte d’un mauvais succès de son principal acteur, elle employait à l’avance une partie de ses soufflets à forger une réputation à la doublure qu’elle tenait prête à paraître au moment où l’autre serait contraint par les sifflets de vider la scène.

Ainsi, quand on désespéra que Mirabeau et ensuite Barnave, qui commençaient à s’user, pussent se soutenir longtemps, on fit à-la-hâte un immense trousseau de réputation patriotique à Brissot et à Pétion, pour qu’ils pussent les remplacer ; et depuis nous avons

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vu les papiers publics anglais devenus les échos des hymnes de chez Talma, représenter Dumourier comme un Turenne et Roland comme un Cicéron ; tandis que l’un n’était qu’un médiocre aventurier et un bourreau qui aurait été précipité, à Rome, de la roche Tarpéienne, pour des victoires aussi sanglantes que celles de Gemmappe, et l’autre un si misérable écrivain, que lorsqu’il était membre de votre comité de correspondance, vous savez qu’il n’a jamais pu y faire une lettre passable, et qu’on ne fût obligé de raturer en maints endroits pour la pauvreté des idées et l’incorrection du style. C’est ainsi que Pitt voyant baisser en France les actions de Brissot, mettait tous ses papiers ministériels en l’air, pour le faire remonter aux nues, comme un cerf-volant, engageait des membres connus de l’opposition à louer le sage, le vertueux Brissot dans le parlement, afin que cela retentit jusqu’à nos oreilles ; et renvoyait ainsi à son féal, par le paquebot, des renforts de réputation patriotique, pour soutenir son crédit dont Pitt avait besoin. Car, comme disait Cyrus, il y a trois mille ans, tant la maxime est ancienne et l’alphabet de la politique : il n’y a personne qui puisse mieux obliger ses amis, que celui qui passe pour leur ennemi ; ni personne qui puisse davantage nuire à un parti, que celui qui passe pour ami, sans l’être. De-là ces louanges de Roland dans la chambre des communes, et cette affiliation de Roland et Barrère pour membres honoraires de la société constitutionnelle de Wighs, pendant que, depuis quatre années, j’ai observé nos ennemis, mettant tout en œuvre pour saper les fondements de certaines réputations de républicains robustes qu’on prévoyait qui ne manqueraient point d’enterrer la royauté, s’ils parvenaient un jour à rallier l’opinion autour d’eux. Voilà pourquoi il en a coûté plusieurs millions à la liste civile de Lafayette continuée par celle de Roland, pour ruiner de fond en comble la réputation de Marat. Voilà pourquoi Sillery, qui ne bougeait de chez le maire Pétion, comptait avoir fait beaucoup, avoir fait presque tout pour cette espèce de coalition Orléanico-Anglo-Prussienne, s'il parvenait à faire demander par ses commettants, les Brissotins du club d’Amiens, la tête de Danton et Marat, et s'il faisait crier dans les rues « vive Pétion, et Robespierre à la guillotine » !

La guerre qui semblait à outrance entre Lafayette et Philippe m’en a imposé longtemps, et je m’en veux d’avoir reconnu si tard

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que Brissot était le mur mitoyen entre Orléans et Lafayette, mur comme celui de Pyrame et Thysbé, entre les fentes duquel les deux partis n’ont cessé de correspondre. Je commençai à soupçonner que cette guerre n’était pas à mort, mais, comme les querelles de coquins, susceptibles d’accommodement, quand je vis Mme Sillery prendre la défense de Lafayette et avec tant d’intérêt, qu’elle ne gardait de mesures qu’autant qu’il en fallait pour ne pas me laisser soupçonner entre les deux rivaux d'ambition et d’intrigues, des intelligences funestes aux Jacobins. Je n’en pus plus douter un jour que Sillery, cherchant à émousser la pointe dont je tourmentais sans cesse le cheval blanc, m’avoua qu’il y avait des propositions de paix; et que la veille, Lafayette étant venu au comité des Recherches, lui avait fait entrevoir dans l'avenir la possibilité et même les convenances d’un mariage de sa petite fille avec son fils Georges Lafayette.

Un trait acheva de me convaincre que, quoique Lafayette, depuis plus d’un an, eût fait pleuvoir les plus sanglants libelles sur la faction d’Orléans, la grande famille des usurpateurs et des fripons ajournait ses querelles, et se ralliait toujours contre le peuple et contre l’ennemi commun, à l'approche du fléau terrible de l'Egalité. Je dois raconter ce trait, parce qu’il ouvre un champ vaste aux conjectures, et pourra servir à expliquer bien des évènements postérieurs. Nous étions seuls dans le salon jaune de la rue Neuve des Mathurins. Le vieux Sillery, malgré sa goutte, avait frotté lui-même le parquet avec de la craie, de peur que le pied ne glissât aux charmantes danseuses. Mme Sillery venait de chanter sur la harpe une chanson que je garde précieusement, où elle invitait à l’inconstance, et Melles Paméla et Sercey dansaient une danse russe, dont je n’ai oublié que le nom, mais si voluptueuse et qui était exécutée, de manière que je ne crois pas que la jeune Hérodias en ait dansé devant son oncle une plus propre à lui tourner la tête, quand il fut question d’en obtenir la lettre-de-cachet contre Jean le baptiseur.

Bien sûr de ne pas succomber à la tentation, je ne laissais pas de jouir intérieurement d’être mis à une si rude épreuve, et je goûtais le même plaisir que dut éprouver saint Antoine dans sa tentation. Quelle fut ma surprise, au milieu de mon extase et dans un moment où la gouvernante magicienne opérait sur mon imagination avec le plus de

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force, et où la porte devait être fermée aux profanes, de voir entrer, qui ? un aide-de-camp de Lafayette, venu là tout exprès, et qu’on fît asseoir un moment auprès de moi, pour me montrer sans doute que Lafayette était redevenu l'ami de la maison. Ceci se passait à l'époque où Sillery achevait son fameux rapport sur l’affaire de Nancy, et s’efforçait de blanchir Bouillé, le cousin de Lafayette.

Il ne peut plus être douteux pour personne de quel côté il faut chercher la faction d'Orléans dans la Convention. Les complices de d’Orléans ne pouvaient pas être ceux qui, comme Marat, dans vingt de ses numéros, parlaient de Phillipe d’Orléans avec le plus grand mépris; ceux qui, comme Robespierre et Marat, diffamaient sans cesse Sillery; ceux qui, comme Merlin et Robespierre, s’opposaient de toutes leurs forces à la nomination de Philipe dans le corps électoral; ceux qui, comme les Jacobins, rayaient Laclos. Sillery et Philipe de la liste des membres de la société; ceux qui, comme toute la Montagne, demandaient à grands cris la république une et indivisible, et la peine de mort contre quiconque proposerait un roi. Enfin les complices de d’Orléans ne pouvaient être ceux qui, comme toute la Montagne, demandaient en vain, par un mouvement unanime et simultané, que la tête du général Egalité fût mise à prix, comme celle de Dumourier, et que Philipe fût traduit au tribunal révolutionnaire de Marseille.

Mais les complices présumés et bien véhémentement présumés de d'Orléans, ne sont-ce pas ce Brissot, ci-devant secrétaire à la Chancellerie d'Orléans, et rédacteur, avec Laclos, de la pétition du champ de Mars, pétition visiblement concertée avec la Fayette? Les complices de d’Orléans ne sauraient être que tous ces royalistes qui, comme Sillery et Roland, Louvet et Corsas, poursuivaient avec acharnement et Pache, et la Commune du 10 août, et la députation de Paris, pour les punir d’avoir travaillé si efficacement à établir la république. Les complices de d’Orléans ne sauraient être que ceux qui, comme Pétion, allaient faire un voyage à Londres, avec madame Sillery et mademoiselle d’Orléans ; ceux qui, comme. Pétion, étaient les confidents les plus intimes et le mentor du général Egalité; qui comme Pétion, lui écrivaient par tous les courriers, en recevaient des lettres

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par tous les courriers, et à l’heure même de sa trahison et de son émigration ; ( Voyez l'affiche accablante de Bassal contre Pétion. ) ceux qui, comme Carra, proposaient le duc d’Yorck pour roi; ceux qui, comme le président Pétion, et les secrétaires Brissot, Rabaut, Vergniaux et Lasource, envoyaient, à la fin de septembre, Carra et Sillery au camp de la Lune. O ! Les bons surveillants qu’on donnait-là aux généraux Dumourier et Kellerman, pour presser la déconfiture des Prussiens, pour empêcher qu’on ne ménageât Frédéric Guillaume, et prendre garde qu’il ne fût rien stipulé contre la république au profit de l’Angleterre et de la Prusse, dans les conférences qu’on a avouées avec Mansfeld, et probablement dans des entrevues dont on n’est pas convenu avec le roi de Prusse.

( 1 ) (1). A la vérité, on avait adjoint à Sillery et Carra, ce Prieur de la Marne, qui est bien la loyauté et la candeur personnifiées; mais la Convention avait envoyé là, comme le corps constituant avait envoyé Pétion avec Barnave et Latour-Maubourg, commissaire au retour de Varennes, pour être l’homme de bien de la légation, pour jeter de la poudre aux yeux du vulgaire, et à condition que ses collègues lui cacheraient tout. Les complices de d’Orléans, ce sont ceux qui, comme Servan, ministre seulement de nom, laissaient la réalité et les opérations du ministère à Laclos ; ce sont visiblement les Brissotins qui s’étant emparé de tous les comités de la Convention, et ayant rempli depuis longtemps le ministère de leurs créatures, avaient insensiblement mis à la tête des affaires tous les amis, naguères proscrits de Philippe, si bien qu’un beau jour, à la fin de février, la nation se trouva avoir toutes ses armées commandées par des chefs bien connus par des relations plus ou moins intimes avec cette maison, par leur attachement à ses intérêts, ou, pour en être les commensaux, Chartres, Valence, Ferrière, Kellermann., Servan, Latouche, Biron, Miranda, Dumourier, Lecuyer, etc.; et il n'y a pas quinze jours encore, après que la trahison de Dumourier avait éclaté, Latouche, avant d'aller à son commandement, étant venu prendre congé du comité des 25, où se trouvaient tous, les hommes, d’état, Brissotins et Girondins, qui accusent la Montagne d’être la faction d’Orléans, je fus le seul qui, dans le silence de tous les membres, prit la parole pour répondre à Latouche. « Je crois volontiers que vous êtes un

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homme de bien et un patriote, comme vous le dites ; mais lorsque vos anciennes liaisons avec la maison d’Orléans sont connues ; lorsque Dumourier semble ne conspirer que pour cette maison ; lorsque j’ai vu dans les mains d'un collègue, avant la trahison de Dumourier, des lettres de l’armée, où on racontait que les domestiques voyant Dumourier s’échauffer prodigieusement, à la fin du repas, à côté de mademoiselle d’Orléans, gémissaient dans l’antichambre où ils disaient tout haut, que c’était une chose indigne que la république fut trahie, et tant de milliers d’hommes sacrifiés, tant de magasins livrés à l’ennemi, à cause des complaisances de Madame Sillery pour un vieux paillard, dans ces circonstances, je m’étonne que le ministre de l’intérieur ait pris sur lui de vous confier un commandement, et je n’y donnerai jamais la main tant que je serai du comité ». Il me semble que voilà des faits qui donnent à penser au lecteur.

Ne serait-ce pas le comble de l’art des Brissotins, si, tandis qu’ils travaillaient si efficacement pour la faction d’Orléans, c’étaient eux qui nous, avaient envoyé à la Montagne le buste inanimé de Philippe, et un automate dont le côté droit tirait les fils pour le faire mouvoir avec nous, par assis et levé, et montrer aux yeux, que s'il y avait une faction d’Orléans, elle était parmi nous ? Ce fut du moins un coup de politique du côté droit, de demander le bannissement de Philippe prématurément, et lorsque la trahison de ses enfants n’avait point encore éclaté, (comme s'ils avaient été dans le secret de cette trahison prochaine); ce fut un coup de leur politique, de revenir sans cesse à la charge pour obtenir cette expulsion. Par-là ils nous mettaient dans l’alternative, ou d’accréditer le bruit qu’ils répandaient que nous étions les partisans secrets de d’Orléans, ou de commettre une injustice, en envoyant à l’échafaud de Coblentz un citoyen qui n’avait pas encore fait oublier les services immenses qu’il avait rendus à la liberté. Pour glisser entre ces deux écueils, en même temps que je m’opposais a son bannissement dans le discours que la société a fait imprimer et a envoyé aux sociétés affiliées, il y a trois mois, je ne dissimulais pas dès-lors le soupçon que nous donnaient la conduite tortueuse et équivoque de Philippe, son espèce de neutralité, particulièrement ses fautes d'omission, pour

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me servir d’une expression théologique, et surtout l’intimité de son confident Sillery avec les plus mauvais sujets de la convention, son compérage avec Pétion et avec tout le corps Brissotin, Sur quoi il est bon de dire, en passant, que quelques jours après, Egalité étant venu se placer auprès de moi, à l’assemblée, et me remerciant d’avoir pris sa défense dans ce discours, ajouta, en présence de plusieurs de mes collègues « qu’à l’égard des reproches que je lui adressais, de ses liaisons avec les intrigants du côté droit, il est vrai qu’il les avait hantés, lorsqu'il les avait crus patriotes, mais qu’il avait cessé de les voir, ayant reconnu que c’était des coquins »

Il ne se servit pas de termes plus ménagés, tant il jouait bien son personnage. Aussi se divertissait-on quelquefois à la montagne, à dire exprès à ses oreilles, les plus grandes injures, contre Sillery, afin de voir jusqu’où Philippe saurait être cordelier, et alors il ne manquait jamais d’enchérir sur les propos, au point que je me suis dit quelquefois : il serait fort singulier que Philippe d’Orléans ne fût pas de la faction d’Orléans mais la chose n’est pas impossible. Non-seulement rien n’est plus fort que son vote dans le jugement de Louis XVI, par lequel il a condamné à l'échafaud tous les rois et quiconque aspirerait au pouvoir royal. Mais depuis quatre années, dans l’assemblée constituante et dans la Convention où je l’ai bien suivi, je ne crois pas qu’il lui soit arrivé une seule fois d’opiner autrement qu’avec le sommet de la montagne ; en sorte que je l’appellais un Robespierre par assis et levé. Aimable en société, nul en politique, aussi libertin, mais plus paresseux que le régent et incapable de la tenue qu’aurait exigée cette continuité de conspiration pendant quatre années, il aura pu être embarqué un moment par Sillery, son cardinal Dubois, dans une intrigue d’ambition, comme il s’était embarqué dans un aérostat; mais dans cette intrigue, comme dans son ballon, il me semble voir Philippe, à peine ayant perdu la terre et au sein des orages, tourner le bouton, pour se faire descendre bien vite ; et rapporter du voisinage de la lune, le bon sens de préférer Mme Buffon. Je sais qu’il y aurait à objecter, et voilà pourquoi ma remarque subsiste, c’est-à-dire toute cette partie de mon discours. Mais comme la différence de la conduite de Pétion avec le père qu’il bannissait à Marseille et en Amérique, parce qu’il siégeait à la montagne ; et

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avec le fils à qui il écrivait tous les jours jusqu’au moment même de son émigration, parce qu’il conspirait avec Dumourier et Mme Sillery; comme le conseil de Pétion à Philippe de fuir par-delà les colonnes d'Alcide, lui était donné en-même-temps par Rabaut, Guadet, Barbaroux, Buzot et Louvet, qui se croyaient encore trop voisins d'un perfide ; je suspends mon jugement sur ce perfide et je lui devais le témoignage que je viens de lui rendre, dans un moment où il est accusé, traduit dans les prisons de Marseille, et si loin du maître autel de Rheims. Au demeurant, que Philippe fût oui ou non, membre de la faction d’Orléans; qu’il ait trempé oui ou non, dans la trahison de ses enfants et dans les intrigues des deux Sillery, mari et femme ; toujours demeure-t-il prouvé que ce couple tripotait avec les Brissotins, qu'il existait une faction d’Orléans, et que le siège de cette faction était dans le côté droit et le marais.

Il me reste à ajouter aux preuves que tout ce côté regorge de royalistes, de traîtres, complices de Dumourier et Beurnonville, de calomniateurs, de désorganisateurs ; que la existe un comité anglo-prussien et un foyer de contre‑révolution.

Nous ne demandions pas mieux que de nous former une meilleure idée de la Convention. Nous arrivions à cette assemblée, pleins d’espoir. Comment se persuader en effet qu’une convocation d’assemblées primaires, faite après le 10 août, et en présence des Autrichiens et des Prussiens entrés en Champagne, faite dans un moment de révolution et au moment même de la naissance de la république, eût pu amener d’aussi mauvais choix et des députations entières, composées de royalistes ? Lorsque, le 21 septembre, à l’ouverture de la Convention, l’Assemblée se levant en entier sur la motion de Collot d’Herbois, eût proclamé la république française, l’eût proclamée une et indivisible, quel député pouvions-nous croire assez esclave, assez Autrichien, assez aveugle même sur son intérêt, pour ne pas poser les armes devant la nation victorieuse, pour ne pas regarder comme rompus tous ses pactes avec la cour, avec Lafayette et Pitt, avec toutes les factions du dedans, pour ne pas chercher à se faire pardonner toutes ses tergiversations des années précédentes ? Comment croire qu’il y aurait dans l’assemblée d’autres débats que d’émulation ; d’autre opposition que d’individus, à qui mériterait le mieux de la république ?

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Aussi nous, qui depuis nous sommes retirés à la montagne, nous étions, nous, dans les premiers temps, répandus indifféremment dans toutes les parties de la ' salle ; mais la, quoiqu'il nous en coûtât de renoncer à de si chères espérances, il a bien fallu en reconnaitre l’illusion, et s’avouer la perfidie et la scélératesse d’une grande partie de la Convention.

Je ne partage point l’opinion de ceux qui croient que la plupart des membres du côté droit n’étaient qu’égarés. Lorsqu’il était impossible à l'artisan qui a le tact le moins exercé, de venir deux fois aux tribunes de la Convention, sans voir de quel côté sont les patriotes et les aristocrates. Comment croire qu’un député qui n’est pas arrivé à la convention, sans s’être fait connaitre dans son département, par quelque sagacité et quelques lumières, fût si profondément inepte, que de ne pas distinguer si Salles, si Rabaut étaient royalistes ; si Roland pris trois fois en flagrant mensonge, était un hypocrite ; et si Beurnonville ne s’environnant que de ce qu’il y avait de plus vil et de plus aristocrate, suivant les errements des contre-révolutionnaires qui l’avaient précédé, divisant tous les régiments en trois parties dont il envoyait l’une au midi, et les autres au couchant ou au nord, faisant mille promotions scandaleuses d’officiers et de généraux, et tirant vingt bataillons de l’armée de Custines en présence de l’ennemi, pour les envoyer à cent cinquante lieues au fond de la Bretagne, était un désorganisateur et un traître. Je crois peu à un tel excès de Janotisme, et je regarde cette grande partie de l’assemblée comme contrefaisant les niais en sens inverse de Brutus, pour ramener la royauté sans être taxés de royalisme, et couvrant du masque de dupe un visage de fripon.

Peut-on en porter un autre jugement d'après la série des faits que je vais continuer, pour compléter l'interrogatoire sur faits et articles que demande Pétion ?

Anacharsis Cloots, que Brissot et Guadet avaient appelé au droit de cité et à la Convention, parce qu’on pensait avoir bon marché d’un Prussien et le faire entrer facilement dans une conspiration anglo-prussienne, n’a-t-il pas le premier donné l’alarme dans le mois d’octobre, en nous révélant que, depuis quatre jours, il bataillait chez Roland, pour l'unité de la république, et contre la république fédérative et le démembrement de la France, pour lequel on

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conspirait ouvertement; qu’il était impossible à un Français de tenir aux propos qu’on débitait à sa table ; en publiant que, dans le comité diplomatique, on parlait de notre révolution sur le ton de Cazalès et de Lafayette ; que Guadet cachait si peu ses dispositions favorables pour la Prusse, qu’un jour il disait dans le comité : « Que nous importe que des Hollandais, des marchands de fromage soient libres ou esclaves ? » ce même M. Guadet, qui, six mois auparavant, voulait absolument la guerre, pour municipaliser l’Europe.

N’ai-je pas entendu Brissot qui voulait aussi la guerre pour municipaliser l’Europe, se féliciter publiquement du désastre de nos armées dans la Belgique, en disant naguère, dans l’ancien comité de défense générale : que l’évacuation de la Hollande et de la Belgique était heureuse, en ce qu’elle était un acheminement à la paix.

Quel est l’homme tant soit peu, clairvoyant, qui remarquant les fréquentes conférences de Dumourier avec l’aide-de-camp Mansfeld, dans le voisinage et sous les auspices de Carra et Sillery, ne se soit rappelé que, de toute éternité, Carra nous avait recommandé l’alliance de la Prusse? qui ne s’est pas rappelé la tabatière d'or de Carra avec le portrait du roi de Prusse ?

N’était-ce pas une chose inconcevable pour tout le monde, et inouïe dans l’histoire, comme je l'ai dit à Dumourier lui-même au milieu de son triomphe, quand il parut à la Convention, qu’un général qui avec dix-sept mille hommes, avait tenu en échec une armée de quatre-vingt-douze mille hommes, après que Dumourier, Ajax Beurnonville et Kellermann, avaient annoncé que les plaines de la Champagne aillaient être le tombeau de l’armée du roi de Prusse, comme de celle d’Attila, sans qu’il en échappât un seul, n’ait pu couper la retraite à cette armée, lorsqu’elle se trouvait réduite de près de moitié par la dysenterie, lorsque sa marche était embarrassée de 20 mille malades, et qu'au contraire l’armée victorieuse s’était élevée de dix-sept mille à plus de cent mille hommes ! Tous les soldats de l’avant-garde de notre armée vous diront que, lorsque l’arrière-garde des Prussiens faisait halte, nous faisions halte; quand ils allaient à droite, nous marchions à gauche ; en un mot, Dumourier reconduisait plutôt le roi de Prusse, qu’il ne le poursuivait, et il n’y avait pas un soldat dans l’armée qui ne fût convaincu qu’il y avait eu un arrangement entre les Prussiens

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et la Convention par l’entremise de Dumourier. Mais celui-ci n'avait pas traité avec le roi de Prusse sans l’aveu au moins du comité diplomatique, et des meneurs anglo-prussiens, qui, charmés de l’évasion de Frédéric Guillaume, au lieu de demander au général compte de sa conduite, ne s'occupaient qu’à donner à Fabius, à Metellus Dumourier les honneurs du petit triomphe chez Talma.

N’est-ce pas un fait, et un fait notoire que l'intimité de Dumourier et ses conciliabules avec les meneurs du côté droit ? Guadet a dit qu’il avait vu Dumourier à l’opéra avec Danton. Il était naturel qu’il affectât de s’y montrer à côté de Danton; mais ce n’est point à l’opéra qu’on conspire, c’est au sortir de l'opéra. C’est là que tout le public pouvait voir Millin le chroniqueur, tenant officieusement la portière, tandis que Mlle Audinot montait en voiture avec Kellermann et Brissot. ( 1 ) (l), Brissot dans sa dernière apologie distribué le 23 Avril a la Convention, nie ses liaisons avec les généraux. Il proteste n’avoir vu Dumourier qu’une seule fois depuis son N° du mois de Juillet, où il disait : Dumourier est le plus vil des intrigants. Mais, voici un fait qui prouve la mesure de confiance qui est due à tous les dires de Brissot dans cette justification.
Il y est dit, page 2 : « Je défie qu’on cite 6 personnes à qui ma prétendue faveur ait fait obtenir des places. » Or, voici la réponse à ce fait justificatif :
Lettre de P. P. Brissot, trouvée sous les scellés de Roland et déposée au comité de sûreté générale. Mon cher Roland, je vous envoie une liste de ceux que vous devez placer. Vous et Lanthenas devez l'avoir sans cesse devant les yeux, pour ne nommer à un emploi quelconque que les sujets qui vous sont recommandés par cette liste. Signé J.P. Brissot.
Qui ignore que Dumourier n’a pas envoyé un seul courrier, qui n’ait été porteur d’une lettre pour son confident Gensonné ; qu’il n’a vu que les Brissotins dans son second séjour à Paris, lors du jugement du roi ; qu’il y avait entr’eux une communauté de sentiments et de passions; que tandis que Brissot et la Gironde épuisaient leur rhétorique à la Convention, pour sauver le tyran, Dumourier faisait des extravagances dans sa rue de Clichy, se démenant comme un forcené, s’emportant contre la Convention au milieu de ses aides-de-camp, s’écriant sans ménagement, en pleine antichambre, que c’était une horreur de condamner Louis XVI ; qu’après une telle atrocité, il ne restait plus

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aux régicides qu'à le guillotiner lui, Dumourier ? n’est-ce pas un fait notoire qu’il avait écrit à la Convention une lettre pleine d’impertinences, pour appuyer le sursis que demandait Gensonné, que cette lettre fut brissotée sur le bureau par le zèle de ses amis, qui avaient peur que la lecture ne leur enlevât leur bouclier en faisant destituer le général, et de perdre ainsi le fruit des savantes combinaisons de la trahison de Maastricht et d’Aix-la-Chapelle, et de ne pouvoir donner à Cobourg la fête d’une si facile boucherie de nos volontaires nationaux, et de si grandes pertes en armes et en magasins pour la République?

Si, moi, qui n’avais jamais vu Dumourier, je n’ai pas laissé, d’après les données qui étaient connues sur son compte, de deviner toute sa politique, et d’imprimer, il y a un an, dans le N°. 4 de la tribune des patriotes, un portrait de ce traître, tel que je n’ai rien à y ajouter aujourd’hui ; quels violents soupçons s’élèvent contre ceux qui le voyaient tous les jours, qui étaient de toutes ses parties de plaisir, et qui se sont appliqués constamment à étouffer la vérité et la méfiance sortant de toutes parts contre lui, et des lettres de Talon et de Ste Foy, et de la persécution du bataillon des Lombards, et des dépositions tous les jours plus fortes, consignées dans la feuille de Marat, et, d’un journal de Peltier, qui, émigré à Londres, et pour y vivre de l'histoire, dans une feuille intitulée : Dernier Tableau de Paris, convainquait toute l’Angleterre des trahisons de Dumourier, dans le même temps qu’à Paris, Villette lui adressait des hymnes, et que l'encens fumait pour lui chez Talma à la Convention. (1) (1) Voici le passage du journal que j’ai montré dans la Convention, à qui a voulu le voir :
Pour Dumourier, disait Peltier dans, son N°. 2, je ne puis résister au désir de peindre ce protée, sur qui roule aujourd’hui peut-être la destinée de l’Europe. Pour cela, Peltier copiait une lettre de Bruxelles du 5 Octobre 1792, qui parait avoir été écrite par Rivarol, témoin d’autant plus sûr, qu’il était, par Mme Beauvert, le frère in partibus de Dumourier.
« Quant à Dumourier, cet homme est inconcevable. Il déclare la guerre ; c’était l’objet de tous nos vœux. On croit voir sous son bonnet rouge percer le bout d’oreille aristocratique ; sa correspondance insultante avec Vienne, l’insolence de son manifeste contre M. de Kaunitz, semblent indiquer le but de piquer le vieux ministre qu’il supposait récalcitrant.
Un plan de campagne est arrêté par le conseil et les généraux. Il le bouleverse. Il souffle le commandement de l’armée au vieux Rochambeau, il le fait passer à Biron, et à d’autres jacobins qu’il envoie battre par Beaulieu. Il envoie Lafayette mourir de faim et de soif à Givet où il n’avait rien à faire. Il empêche Lukner d’houzarder dans les électorats et de les enjacobiner jusqu’à Coblentz. Claviere, Roland, Servan apposés, par lui, embrassent trop ouvertement les projets, de Brissot… Il les culbute. Il prend le portefeuille de la guerre, accuse Servan à la face de l’assemblée ; là il retrouve Lafayette qui, furieux de voir qu’on sauve le roi sans lui, profite d’un moment de baisse dans les actions de Dumourier pour le dénoncer et forcer le roi à le renvoyer. Il part, il va à l’armée de Flandres, il dit, en prenant congé de MM. de Nivernais et d’Avaray, que le roi n’a pas de meilleur serviteur que lui, qu’il, croit lui en avoir donné des preuves, en déclarant la guerre. Il reste au camp de Maulde en dépit des généraux Lukner et Lafayette : il épaissit tous les jours, son masque, et sert la République comme la constitution ; ses lettres à l’assemblée ont l'air d’une mystification continuelle. Enfin il réunit toutes Les armées, en un point en face de l’ennemi, sous sa direction suprême, car je le crois incapable d’être lieutenant de qui que ce soit : j’entends parler de capitulation proposée par lui : là je crois saisir mon homme, je crois voir le point où aboutissent les six derniers mois de sa Vie, de ses pensées, de ses actions : tout-à-coup il m’échappe on annonce que la capitulation est un jeu, qu’il s’est moqué du duc de Brunswick, qu’ayant gagné du temps et fait arriver des vivres, il défie ceux aux pieds desquels il avait l’air de ramper ; et tout-à-coup l’heureux rival de Monk, le profond auteur du plan le plus savamment combiné, le plus longuement amené, se transforme en un insensé ; car comment avec de l’esprit, peut-il vouloir servir un ordre de choses, qui n’est bon ni pour la France, ni pour lui pendant six mois. La reconnaissance des Républiques ! ah ! le bon billet qu’il aurait là j’avais imaginé qu’il avait attiré dans le piège l’armée et les enfants du duc d'Orléans, pour en faire à leur tour les otages du roi, et qu’occupé comme nous de la solution du problème qui fatigue toutes les têtes, de la solution de cet imbroglio, il n’en avait pas trouvé de plus sur et de plus expéditif. Cependant les dernières nouvelles ont détruit tous ces calculs. Dumourier a rompu la capitulation; et toujours retranché dans les gorges du Clermontois aux Ifflettes, il s’y prépare à une défense qui n’aura pas lieu, car les pians du roi de Prusse sont changés, etc. etc.

N’est-ce pas un fait que Dumourier les a proclamés ses mentors et ses guides ? et quand il n'eût pas déclaré cette complicité, toute la nation n’est-elle pas témoin que les manifestes et proclamations si criminelles de Dumourier ne sont que de faibles extraits des placards, discours et journaux Brissotins,

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et une redite de ce que les Roland, les Buzot, les Guadet, les Louvet, avaient répété jusqu'au dégoût ? Y avait-il rien de plus inconséquent et de plus scandaleux, que de mettre à prix la tête de Dumourier, et dans le même temps de nommer pour président Lasource, qui avait dit la même chose avec bien plus de pathos ?

Pitt n’a-t-il pas avoué dans la chambre des communes, (comme je l’ai montré dans mon discours sur l’appel au peuple) ses relations avec ce qu’il appelait les honnêtes gens de la Convention, c’est-à-dire les Brissotins et le côté droit ? et quand Pitt ne l’aurait pas avoué, est-ce que dans Brissot, Vergniaux et Guadet, tous défenseurs officieux de la glacière d’Avignon, cette affectation de faire tous les jours de nouvelles tragédies des évènements du 2 septembre; (3) (3) N’est-ce pas un fait que J. P. Brissot, ce Jérémie du 2 septembre, a dit, le 3 septembre, au conseil exécutif, en présence de Danton : ils ont oublié Morande ; ce Morande, qui avait presque mérité de la nation ses lettres de grâce de tant de libelles, pour avoir dit tant de vérités de Brissot. Chabot m’a assuré que le 2 septembre, Brissot s’était également souvenu de Morande au comité de surveillance. Ce chagrin de Brissot de voir Morande sauvé, prouve bien que ce tartuffe d’humanité a l’âme des Tibere, des Médicis et de Charles IX, et que le cadavre de son ennemi sentait bon pour lui. est-ce que cette contradiction si grossière, surtout dans Gorsas, qui s’était écrié le 3 septembre, dans son journal : qu’ils périssent! est-ce que ces redites éternelles pour diffamer notre révolution et la rendre hideuse aux yeux des peuples ; est-ce que la conformité du langage du côté droit et du ministère anglais sur le procès de Louis XVI, et l'opiniâtreté perfide de demander à cor et à cris l’appel au peuple » lorsque les Brissotins étaient instruits, depuis, le mois de Septembre, delà conspiration de la Rocrie, quand ils savaient que l'embrasement de la Vendée n’attendait qu’une étincelle et les paysans de l’Ouest une convocation pour prendre la cocarde blanche dans les assemblées primaires ; est-ce que la constante opposition des deux comités diplomatique et de défense générale à toutes les réunions à la France, et l’insolence des propos de Roland, pour aliéner les habitants de Carrouge, et le sommeil de Lebrun, au milieu des agitations si favorables de l’Irlande et de la Pologne, cette apoplexie dont le ministère des affaires étrangères a

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paru frappé, au lieu d’opérer une si facile diversion, en soutenant les patriotes de Dantzik, de Cracovie et de Belfast; et l’impolitique des deux comités, d’ordonner l’ouverture de l'Escaut, sans entrer en même-temps en Hollande, et leur précipitation à déclarer la guerre à l’Angleterre, à la Hollande, à l’Espagne et a toute l’Europe, et leur négligence à relever notre marine, protéger nos corsaires et à prendre de sages mesures qu’on leur suggérait, (1) (1) Par exemple, je connais un citoyen qui, au mois de Septembre, écrivait au ministre Monge : c’est par la disette de subsistances qui nous menace, à cause de la consommation des armées et des pertes delà guerre, que la France sera tablée dans six mois ; je vous offre, pendant, que les mers sont libres, de vous approvisionner immensément en bœufs d’Irlande, etc. Monge sait bien que celui qui lui faisait ces offres, était en état plus que personne de les tenir; mais il s’est bien donné de garde de les accepter. Après cet échantillon de sa conduite ministérielle, il y a beaucoup de bonhommie aux Jacobins de ne taxer Monge que d’ineptie !
Comment ne serions-nous pas affamés ? comment nous viendrait-il des grains d’Amérique ? Qui y est-ce qui est Consul général de France ? c’est le beau-frère de Brissot, et qui est-ce qui l’a nommé ? cela se demande-t-il ? Ç’est le ministre Lebrun, le prête-nom de Brissot aux affaires étrangères.
et leur tendresse pour Dumourier, la protection éclatante dont ils ouvraient ses attentats, et leur acharnement contre Pache, contre Marat qui rompaient en visière à Dumourier et croisaient ses projets ambitieux ; et le versement de tous nos magasins et de tant de trésors dans la Belgique; les approvisionnements immenses à Liège et dans des lieux sans défense, exprès pour que Dumourier livrât nos ressources à l’ennemi ; enfin cette opposition simulée du côté droit à la nomination de Beurnonville, pour qu’il acquît de la confiance, étant nommé par la montagne ; puis quand il se fut démasqué, en faisant cesser les travaux des manufactures d'armes, quand ils l’eurent reconnu bon compagnon et frère en contre-révolution, en le voyant s’entourer d’escrocs et de royalistes, la réélection de ce ministre par les Brissotins ; ne sont-ce pas là des faits, et peut-on désirer des preuves plus fortes de l'existence du comité Anglo-Prussien dans la Convention ?

Pétion demande des faits ;

N’est-ce pas un fait relevé si à-propos par Phelipeaux, que le trésorier du roi de Prusse, en lui rendant compte des dépenses de l'année dernière, emploie un article de six millions d'écus à tous pour corruptions en France ?

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N’est-ce pas un fait que ce que Chabot a reproché publiquement à Guadet, quand il disait : « je ne sais; mais j’ai entendu le lendemain Guadet demander le congé pour le ministre Narbonne, et faire la même motion dont en m'avait offert, la veille, vingt-deux mille francs ? Cependant Guadet assure qu’il mange le pain des pauvres, et Roland, dans son ministère, affectait de porter des habits râpés et ses plus méchants pourpoints. Cela me rappelle cette pauvreté d’Octave qui, pour détourner l’envie de Jupiter, disent les historiens, affectait de tomber dans l’indigence, et parut tous les ans sous l’habit de mendiant?

N’est-ce pas un fait que Pétion, pendant sa mairie, recevait des ministres des affaires étrangères trente mille francs par mois, que Dumourier, qui se disait le plus fidèle serviteur du roi, ne les lui donnait pas sans doute pour jeter les fondements de la république ? Mille francs par jour ! je ne m’étonne plus que Pétion eût tant de complaisance pour notre côté droit au conseil général de la commune ; je ne m’étonne plus qu’il se soit si fort opposé à l’impression du discours que j'y prononçai quinze jours avant le 10 août ; je ne m’étonne plus qu’il se soit logé au pavillon de Vaudreuil, qu’il n’ait pas quitté un seul jour depuis ce temps, l'habit noir, comme en état de représentation permanente et comme un grand pensionnaire.

N'est-ce donc pas un fait que c'est à ses côtés qu’ont toujours combattu ces royalistes bien prononcés, et Rouzet et le reviseur Rabaut lassé de sa portion de royauté, et qui voulait remettre sa quote part à Louis Capet; et ce Biroteau qui appelait des croassements de grenouilles de marais, l’opinion de ces républicains qui condamnaient Louis XVI, par cela seul qu'il fut roi, et ce Salles qui avait eu la bassesse d'imprimer qu'il se poignarderait le jour que la France serait sans roi ? Combien il faut que le côté droit ait pris la nation française pour un peuple de quinze-vingt et de badauds, puisqu’il n’a pas désespéré de nous faire croire que c’était Salles qui était républicain et Marat royaliste !

N'est-ce donc pas un fait qui, dès le mois de Septembre, sautait aux yeux des tribunes, qu'une grande partie de la Convention était royaliste ? Le décret de l'abolition de la royauté ne prouvait rien. C'était un arrêt de mort rendu contre un malfaiteur six semaines après qu'il avait été exécuté. La plupart de nos constituants

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et de nos législatifs dissimulaient mal leur dépit que les républicains de la Convention eussent culbuté leur ouvrage. Leur royalisme perçoit dans les imprécations contre Paris. La source, un des moins corrompus, et qui opinait avec le côté gauche, en dinant avec le côté droit, mais dont on avait mis la bile en mouvement contre Robespierre, s’écriait, dès le 14 Septembre à la tribune : Je crains ces hommes vils, cette crasse de l’humanité vomis non par Paris, mais par quelque Brunswick. Tout était perdu, tant que les départements ne verraient pas, dans Paris, selon Lasource, l'ancienne Rome, qui rendait les provinces tributaires ; selon Buzot, la tête de Méduse. On ne pouvait pas, s’écriait encore Buzot, faire la constitution dans une ville souillée de crimes. Mais c’est sur leurs bancs qu’il fallait les entendre, et que leur jaserie décelait leurs dispositions bien mieux encore que leurs harangues à la tribune, C’étaient les mêmes fureurs que dans Bouillé contre Paris, quand il jurait de n'y pas laisser pierre sur pierre. Dans ces premiers jours, où ils ne se connaissaient pas bien entr’eux, on n’osait s’avouer qu’on était royaliste ; mais pour prendre langue, on se déchainait contre Paris, et les mots agitateurs, désorganisateurs étaient comme les termes d'ergot auxquels tous les aristocrates se reconnaissaient, se prenaient la main, s’invitaient à diner chez Roland ou chez Vénua. Dernièrement encore, étant à la tribune, j'entendais un de ces aristocrates affecter de dire à mes oreilles : " mon cher Ducos, ce qui me console, c'est que j'espère t’acheter une hotte, avec laquelle tu auras le plaisir de semer du sel sur Paris." Pour ne point transposer les temps et revenir aux premiers jours de la Convention, tous nos royalistes n’osant point dire : Guerre à ces scélérats de républicains, ils disaient : guerre à ces scélérats de désorganisateurs, qui avaient désorganisé une si belle machine que la constitution révisée par Rabaut.

S'ils avaient été de bonne foi, si c’eût été une taie qu’ils avaient sur les yeux, et non pas les deux mains qu’ils y mettaient sans cesse pour s’empêcher de voir ; ne seraient-ils pas revenus de leur erreur, dès les premiers jours, quand indigné de leurs calomnies, un orateur qui, comme, le Nil, n’a rien de meilleur que ses débordements et sa colère, Danton concluait un discours énergique, en proposant et faisant décréter à l’unanimité,

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que toutes les propriétés territoriales et industrielles seraient inviolablement maintenues; quand le 24 septembre, pour guérir la fièvre de Lasource et sa frayeur d’un dictateur, Danton proposait et faisait décréter, à l’unanimité, la peine de mort contre quiconque parlerait de triumvirat, de tribunat, de dictature. Certes, c’était bien là des démonstrations que nous n’étions ni des ambitieux ni des partisans de la loi agraire. Cette argumentation était aussi pressante que celle de Marat, l’autre jour; lorsqu’accusé par Salles de vivre dans une intimité étrange avec d’Orléans, il leur répondit : « Ah ! vous dites que je suis l’intime de Philippe et que ma feuille est le pivot sur lequel tourne la faction d’Orléans ; eh bien : je fais la motion que la tête du général Egalité fils qui a trahi comme Dumourier, soit également mise à prix, et que le père soit traduit au tribunal révolutionnaire de Marseille, » Comment le côté droit répliqua-t-il à ce défi péremptoire ? avec la fureur d’hommes désespérés d’une réponse qui mettait si au grand jour leur mauvaise foi, par des redoublements de rage et un sabbat dans lequel Duperret tirait une seconde fois le sabre. Et le lendemain Salles distribuait à la Convention un imprimé de seize pages, où il prouvait en forme que toute la montagne, qui mettait à prix la tête d’Egalité fils, qui envoyait le père à Marseille, qui l'avait réformé dans la dernière revue des Jacobins, lui, Sillery et Laclos, était le siège de la faction d'Orléans ; et ce qui est bien plus fort, que Marat s’entendait avec Dumourier . C’est ainsi que la tête de Salles, pour échapper au panier de cuir, prenait le parti de se constituer en démence. Mais poursuivons cette partie de l’histoire des séances qu’on ne trouve point dans le Moniteur et le Logotachigraphe. Ne sont-ce pas des faits que, dès les premiers jours de la Convention, à force de tactique, en nous obligeant, par des attaques continuelles, à songer à notre propre défense, en nous écartant des comités, en nous éconduisant de la tribune, on s’était étudié à paralyser les républicains, et à nous mettre dans l’impuissance de rien faire pour le peuple ? N’est-ce pas un fait que, pendant les quatre premiers mois surtout les présidents, tous dévoués à la faction, ne nous accordaient jamais la parole ; et que les hommes qui vingt fois se sont plaints qu’ils n’étaient pas libres, qu'ils étaient sans cesse interrompus, et ont demandé que le

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procès-verbal fût envoyé aux départements, pour faire foi qu’ils étaient dominé à par les tribunes, sont les mêmes qui plus d’une fois se sont livrés aux violences les plus indécentes, jusqu’à lever le bâton, tirer des sabres et venir fondre sur la montagne, et qui toujours assis en triple haie, sur les bancs autour de la tribune, ne nous permettaient pas d’en approcher, sans y être assaillis de leurs interruptions, de leurs vociférations, au point qu’il fallait une poitrine de Stentor pour couvrir seulement leurs injures ?

N’est-ce pas un fait, pour ne parler ici que de moi, et laisser aux autres le soin de se louer, dont on s’acquitte toujours mieux soi-même, que moi (qui Doyen des Jacobins, depuis le commencement de la révolution, attiré dans toutes les intrigues et mêlé dans tous les combats, n’avais jamais fait un faux mouvement, un à droite pour un à gauche; et qui, dans les huit volumes révolutionnaires que j’ai publiés, défie qu’on y trouve une seule erreur politique ), pendant ces six mois où la république n’a cessé d’être travaillée de maux, je me suis fait inscrire inutilement sur les listes de candidats pour tous les comités ou j'aurais pu rendre service et d’où j’ai toujours ( 52 ) été repoussé, le chevet du malade étant assiégé d’une multitude de médecins qui se disputaient l’honneur, les uns de le guérir exclusivement, les autres de l'assassiner habilement? Ce n'est que, lorsqu’après nous avoir embarqué dans une guerre avec toute l’Europe, après avoir au dehors repoussé les peuples qui voulaient se réunir à nous, et au-dedans couvé pendant six mois la guerre civile et l’embrasement de la Vendée, l'ancien comité de défense générale a eu donné sa démission, ce n'est qu’alors, que l’extrémité de la maladie a été jugée telle, que j'ai été appellé enfin à la consultation et nommé membre du comité des Vingt-cinq, comité si mal composé et organisé que le seul service que nous ayons pu y rendre, a été d’en provoquer la suppression et le remplacement par le comité des Neuf, devant lequel encore, il faut l’avouer, il n'y a pas jusqu'à ce jour, de quoi s’incliner d’admiration et de reconnaissance.

Me niera-t-on que, soit qu’un membre de la Convention eût publié contre les principaux fondateurs de la république un libelle bien atroce comme Louvet, soit que dans son opinion à la tribune, il se fût dessiné en royaliste parfait comme Salles et Rabaud ; soit qu'il se

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fût fait conspuer généralement par une apostasie insigne, comme Manuel et Gorsas ; soit qu’il se fût signalé en montrant le poing à la montagne, comme Kersaint ou par une signature au bas de la pétition des vingt-mille comme Camus et Lanthénas, ou par un commissariat mémorable, comme celui de Carra auprès du négociateur Dumourier ; soit que les quarante-huit sections eussent demandé avec plus de cent mille signatures l’expulsion de quelques membres, comme atteints et convaincus d’avoir parlé et agi dans le sens de Dumourier et de Cobourg, tels que Lasource, Pontécoulant, Lehardi, Chambon ; en un mot, dès qu’on avait obtenu une note d’infamie et pris des patentes d’aristocrate on était sûr d’être le jeudi prochain nommé sans faute président ou secrétaire de la Convention ?

Enfin, pour en venir au Socrate, au Phocion du côté droit, à Roland : n'est-ce pas un fait et un fait prouvé par les lettres trouvées sous les scellés du juste, que le vertueux ministre de la république était fauteur d’émigration et s’était ligué contre la république, avec tous les ci-devant nobles, et les feuillants ?

Qu’on en juge par cette lettre : « Comment vous remercier, lui écrit-on de Montaniac, de vos offres, obligeantes qui me feront rejoindre mon mari à Berlin. Signée, Noailles Lafayette » Et cette autre lettre : « J’avais bien compris dès votre premier ministère, vertueux Roland, que nos principes étaient communs. Signé, Montesquiou, Général de l'armée des Alpes.

Et celle-ci encore : « Ne comptez-pas, mon cher Roland, lui écrit-on de Lyon, sur les ci-devant nobles ; ils n'ont pas assez de résolution. Signé, Vitet, Maire de Lyon. »

Ce sont là des faits, je pense, et la chose parle de soi ; et tous les diamants du garde-meuble ne tireraient pas le Juste de cette affaire et de dessous le rasoir national.

Jérome Pétion disait confidemment à Danton au sujet de cette apposition de scellés :

Ce qui attriste ce pauvre Roland, c’est qu’on y verra ses chagrins domestiques et combien le calice du cocuage semblait amer au vieillard et altérait la sérénité de cette grande âme. Nous n’avons point trouvé ces monuments de sa douleur, mais bien des preuves multipliées qu’il avait à sa solde un camp volant d’orateurs, pour présenter la bataille sur la terrasse, au café Beauquesne, au café Procope et partout

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où ils trouvaient de ce qu’ils appelaient champions de Robespierre. Nous avons vu combien les comptes de Roland sont infidèles, puisqu'il ne portait que 1200 livres, à l’article dépenses secrètes, ce qui lui valut alors tant de battements de mains ; et la note seule de ce qu'il en a coûté pour circonvenir Gonchon, pour le rolandiser et lui faire lire une des deux pétitions du faubourg Saint-Antoine, cette note seule excède deux mille francs. Encore le recruteur Gadaul ajoute-t-il : "qu’il perd ses assignats, qu’il pensait, la veille, tenir Gonchon sur la fin du dîner, mais que le lendemain à jeun, l'homme à la pétition redevint plus Jacobin que jamais et qu’il n’y a pas moyen de le défroquer. Il ne serait pas même sûr de lui présenter de l’argent. La délicatesse de Gonchon se cabre, il lui avait offert d’être Lieutenant-colonel de la garde départementale, afin de l’engager à venir, au nom du faubourg St.-Antoine, présenter une pétition pour appuyer la motion Buzot, mais il a suffi de cette offre pour le persuader que la motion Buzot ne valait rien, et il n’est plus possible de lui en reparler. « Combien d’autres découvertes curieuses on eût fait dans la levée de ces scellés, si, lorsque nous avons arrêté leur apposition, au comité des Vingt-cinq, on n’eût pas vu s’écouler l'instant d’après, une foule de députés qui ont couru mettre l’alarme au logis, rue de la Harpe, de manière que M. et Mme Roland ont eu, plus de six heures d'avance pour évacuer le secrétaire.

Mais était-il besoin de preuves écrites pour constater la ligue de Roland avec la ci-devant noblesse? On demande des faits; mais n’en existe-t-il pas un, qui seul sera une tache éternelle à la majorité de la Convention, et la preuve de sa complicité, ou du moins combien elle était loin des idées républicaines et du sentiment de sa dignité ? Quoi ! Roland seul, car il ne faut pas compter ses deux acolytes Brissotins, osait s’emparer du secret de l’Etat et des archives de toute la conspiration depuis 4 ans ! Il osait fouiller seul en visir, l’armoire de fer, et cela, lorsque la saine partie de la Convention, soupçonnait qu’il devait sortir du fond de cette armoire une accusation terrible contre Roland; lorsqu’il était notoire que ses amis Guadet, Vergniaux, Gensonné avaient transigé avec le roi, le 9 août ; lorsque cette transaction ne se trouvait point parmi les pièces ; lorsque dans cette histoire des intrigues contre-

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révolutionnaires, on remarquait des lacunes, précisément aux époques où on avait accusé les Brissotins de trafiquer de nos droits avec la cour. Et la majorité de la Convention, qui s’effrayait sans cesse d’une dictature chimérique, ne s’est pas levée, indignée, pour punir, par un décret d’accusation, l’acte le plus dictatorial qu’on puisse imaginer. Et lorsque, ayant couru à la tribune avec des poumons trop inférieurs à mon zèle pour me récrier contre le vizirat de Roland, et que n’ayant pu obtenir la parole, j’étais obligé de me contenter de lui dire, à son banc de ministre : quelle confiance pouvons-nous avoir en un tel dépôt, le visir me répondait avec hauteur: Que m’importe votre confiance ! Quelle arrogance à l’égard d’un représentant du peuple, dans un homme qu'on ne pouvait excuser d’avoir violé le greffe des trahisons de la cour, qu'en disant, comme on fit, que ce vieillard n’en avait pas senti la conséquence, et en le faisant ivre ou imbécile, pour ne pas l’avouer traitre. Mais l’excuse d’une si grande démence, valable pour un citoyen, n’était pas recevable pour un ministre. Aussi la loi de Solon égalait au crime l’étourderie ou l’ivresse de l’Archonte.

Mais, quand on se souvient que dès le lendemain du 10 août, tous les bons esprits s'aperçurent que l’auteur du placard intitulé les dangers de la victoire, battait le rappel autour de lui de tous les royalistes, de tous les feuillants, et que cet auteur c’était Roland, l'épreuve en ayant été vue sur son bureau, corrigée en entier de la main de sa femme ; quand on se souvient de la sentinelle, espèce de chant du coq contre-signé ; de ses avis aux Athéniens ; de ses placards couleur de rose, et de la lettre d'un Anglais aux Parisiens, dans laquelle le ministre de l’intérieur, comme cela a été prouvé juridiquement, sous le nom d'un Anglais, tenait le même langage qu’aurait tenu Pitt, appelait les proscriptions et les fureurs du peuple, comme les fondateurs de la république, qu’il désignait sous le nom de tyrans populaires, et osait exhorter le peuple Français à reprendre son caractère léger, et à retourner à ses vaudevilles; quand on se souvient que c’est lui qui, le 23 septembre, terminait ainsi son compte rendu à la Convention : il faut de la force; je crois que la Convention doit s'environner d'une force armée et imposante qu'une troupe soldée et fournie par les départements peut

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seule atteindre ce but, et ouvrait ainsi la discussion sur une garde prétorienne ; quand on se souvient qu’il n’a cessé de souffler dans les départements le fédéralisme et la haine contre Paris, par des placards séditieux qu’il écrivait à Dumourier, comme il est prouvé par la déclaration des deux députés Lacroix et Danton, qui ont lu la lettre: "il faut nous liguer contre Paris" ; quand une foule de députés attestent qu’ils ont été révoltés des propos tenus à la table de Roland, où on ne les avait conviés que pour les faire entrer dans la coalition contre cette ville, et ses tribunes, ses sociétés populaires, ses pouvoirs constitués, sa députation, trop républicaines ; quand on se souvient qu’il subornait deux faux témoins contre Robespierre, Barbaroux et Rebecqui, qui affirmaient, celui-ci en se frappant les deux mains sur la poitrine, que "Panis lui avait proposé de faire Robespierre dictateur" ; quand on se souvient de son étude constante à perfectionner l’art de renverser les républiques, et à suivre la politique d’Auguste ( 1 ) ( 1 ) Octave, pour devenir empereur, n’eut besoin que de renoncer au nom de Triumvir. Il s’assura de l'armée, en divisant, par l’intérêt et le numéraire, les soldats d’avec les citoyens : du peuple, en faisant hausser sous la république, le pain qu’il fit baisser sous la monarchie ; de tout le monde en criant contre les anarchistes et les factieux, et en faisant jouer l’Ami des Loix par le comédien Pylade, ce que Tacite avec sa précision admirable, dit en trois mots : posito Triumviri nemine, militem donis, populum annonâ, cunclos dulcedine otii pelexit. ; quand on se souvient qu'à l’aide des millions dont il était bourré par le corps législatif, Roland avait commencé, dès le lendemain du 10 août, à monter sa grande machine de la formation de l’esprit public, et s’était ménagé, à sa nomination dans les corps électoraux, des médailles de députés, comme les rois avaient à Rome des chapeaux de cardinal ; c’est ainsi qu’il avait fait nommer J. B. Louvet à Orléans, Sillery à Amiens, Rabaud de S. Etienne à Troyes ( 2 ) (2). Il faut convenir que ce Rabaud n’a point payé Roland d’ingratitude, et n’a point volé sa, médaille. Chargé d'empoisonner l’opinion publique, il s’est livré à ce métier avec une ardeur infatigable, et avec d’autant plus de succès qu’il préparait très-bien un certain vernis de modération, dont il plaquait son vert-de-gris, C’est lui qui a tenu la principale boutique de calomnie contre les républicains. Rédacteur, à la fois, du Moniteur, du Mercure et de la Chronique, ces trois journaux étaient comme les trois gueules avec lesquelles ce Cerbère des Brissotins aboyait tous les jours la Montagne, et jamais royaliste sournois n’a mieux mérité, que lui que le côté droit l’élevât à la présidence, et d’être le porte-sonnet de la coalition. Il y a un trait de lui, qui le peint mieux que le ferait un gros livre. Robespierre était à la tribune, suant sang et eau depuis une demi-heure, et depuis une demi-heure, tapi dans un coin du marais, Rabaud fixant l’orateur, mordait sa distribution et ses doigts avec des grimaces. Que voulez-vous donc, lui dit son voisin, avec votre pantomime, et quelle est votre but ? Le prêtre qui croyait répondre à un des siens, lui dit : ne vois-tu pas, que, comme il n’y a pas moyen d’interrompre, à cause du décret qui défend tout signe d’improbation ou d’approbation, si un regard de Robespierre pouvait tomber sur ma grimace, cela brouillerait ses idées, et le ferait peut-être descendre de la tribune. Ce fait, peu important en apparence, montre à nu l’âme de ce Rabaud, qui est si reptile, si esclave, si intrigant, si traître, si tartuffe, si Brissotin ; en un mot, car c’est la définition du mot Brissotin que je viens de donner, que, lorsqu’à force de purger l’assemblée nationale de cette espèce d’hommes, on se demandera un jour ce que c’était qu’un Brissotin, je fais la motion que, pour en conserver la plus parfaite image, celui-ci soit empaillé, et je m’oppose à ce qu’on le guillotine, si le cas y échet, afin de conserver l’original entier au Cabinet d’histoire naturelle. ; en un mot, quand il y a preuve écrite qu’il était ligué avec les ci-devant nobles, et que le patriarche, comme l'appelaient les amants

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de sa Pénélope, enivré de leurs flagorneries, et enhardi par sa vieillesse, a osé de ses mains sexagénaires prendre les rênes abandonnées par Montmorin et Lessart, et se faire le cocher de la contre-révolution, aidé de ses deux laquais Clavière et le Brun, l'un le plus hardi violateur du secret des postes et Le Brissot de la finance, l’autre, plat valet, comme il est prouvé par ses lettres à Joseph II, et depuis chargé d'entretenir, aux frais de la nation, les journalistes détailleurs de l’opium Brissotin, tel que Carrier de Lyon, le Gorsas du Midi; qui ne voit, en joignant tous ces ressouvenirs, que la descente si audacieuse de Roland seul dans l’armoire de fer, n’était pas une étourderie du ministre à barbe grise, mais bien un coup de maître et un magnifique brissotement de toutes les pièces qui étaient à la charge de ses commensaux, brissotement qui n’est surpassé peut-être que par le coup d’essai que le vertueux avait fait, à la mi-septembre, sur le garde-meuble ?

Quand Barrington apprit à Botany-Bay le vol du garde-meuble, il dut s’écrier qu’il était vaincu par le vertueux ministre de la république. Quoique j’aie entendu dire à Brissot dans le comité de défense générale, que Roland mangeait aussi le pain des pauvres, et qu'au sortir de son second ministère, il ne lui serait pas resté de quoi vivre, si, lui Brissot, n’avait fait donner, par le conseil exécutif, une pension de mille écus à l'ex-ministre, comme la retraite de ses services dans les manufactures, il n’en est pas moins clair à mes yeux, et il sera prouvé à la postérité, que c’est le vertueux qui a volé le garde-meuble. Les voleurs ont été arrêtés et ont découvert leurs complices. On a retrouvé presque tout ce qu’ils avaient emporté, et ce recouvrement n’est pas monté à plus de 4 millions, et on n’a point retrouvé les gros diamants ; en sorte qu’il était facile de deviner qu’on avait introduit ces voleurs dans le garde-meuble, pour pouvoir en supposer le pillage, leur faire emporter les restes, et par-là couvrir le démeublement officiel qui en avait été fait, et une grande opération de finance. Vous avez entendu Fabre d’Eglantine qui a suivi la trace de cette expédition avec la sagacité qu’on lui connait, nous faire une démonstration qui suffirait presqu’au Juré, que tout avait été arrangé d’avance pour une émission de filous dans le garde-meuble, qui n’étaient que l’arrière-garde des grands voleurs.

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Toujours est-il constant qu'on n’a retrouvé ni le Pitt, ni le Régent, ni le Sancy, ce qui supposait un vol extérieur, dont le soupçon ne pouvait appartenir qu’au ministre Roland, chargé de la surveillance du garde-meuble. Et l’observateur qui rassemble ces diverses présomptions et les indices matériels que fournit d’Eglantine, et les efforts de Roland pour soulever la France contre les députés républicains, en employant tant de presses pendant trois mois, à apitoyer sur le sort de Louis XVI, et son second ministère en entier, où on voit que, dès le lendemain du 10 août il s’était appliqué à rallier autour de lui les constitutionnels et les débris de l’armée royale ; la méditation, dis-je, qui fait tous ces rapprochements, ne doute pas plus que ne fera l’histoire qui aura retrouvé le Pitt et le Sancy, et suivi leurs traces ; elle ne doute pas que dans la déconfiture des royalistes, le 10 août, et dans leur désespoir d’une contre-révolution à la Calonne et autrichienne, Roland ne leur ait présenté l’amorce d’une contre-révolution à Anglo-Prussienne, et à la Brissot, qu’il ne les ait engagés à prendre sa contre-révolution au rabais, et, de concert avec Louis XVI captif, n’ait déménagé le garde-meuble comme un riche supplément de la liste civile, pour corrompre la convention, payer les 60,000 liv. de dettes de Duprat, les 80,000 liv. de Barbaroux ( 1 ) ( 1 ) « Barbaroux, dit le numéro 177 du journal de Marseille, qui n’avait pour tout patrimoine, qu’un poignard, quand il est parti pour la Convention, a répondu aux Marseillais, qui s’étonnaient de ses deux secrétaires et des gardes de la Manche, qu’il était assez riche pour entretenir ; que par le bienfait de la loi qui abolit les substitutions, il avait hérité de 80, OOO liv., tandis qu’il est de notoriété publique, qu’il n’a jamais eu, dans les deux mondes, de parents possesseurs d’une telle fortune. Il est vrai que, pour dépayser les curieux, il a dit que cette succession lui venait d’Amérique. , et pour venir au secours de la royauté agonisante, et étouffer la république au berceau.

Je supprime une multitude de faits. Qu’ajouteraient-ils à l’impression d'horreur que font naître ces deux derniers contre l'hypocrisie des vertueux et des sages, car c’est ainsi qu’ils se nommaient entre eux, pour en imposer, comme des prêtres, au vulgaire, avec leurs encensoirs, et en se prosternant ainsi les uns devant les autres ? Pour nous, ils nous appelaient des royalistes, tandis qu’ils

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étaient ligués avec les ci-devant nobles ; des agitateurs, tandis qu’ils n’ont cessé de prêcher une croisade contre Paris et de souffler pour ranimer la cendre tiède de la royauté ; des désorganisateurs, tandis que leurs créatures, Dumourier et Beurnonville, désorganisaient l’armée et qu’eux-mêmes conspiraient la désorganisation de la république, en s’obstinant à convoquer les assemblées primaires dans la Bretagne et la Vendée ; des partisans secrets de d'Orléans, tandis qu’eux-mêmes étaient la faction déclarée de Dumourier et de d’Orléans ; des assassins tandis qu’ils avaient fait l’apologie de la Glacière d’Avignon, qu’ils ont fait périr tant de milliers de citoyens aux frontières, dans cette guerre qu’ils ont décrétée malgré nos cris; enfin, des brigands, dans le même temps qu’ils dévalisaient le garde-meuble. Non, il n'y a pas d’exemple dans l’histoire, d’une faction plus impudemment hypocrite. Mais, en dépit de leurs calomnies et des clameurs de cette autre espèce de mauvais citoyens de ces royalistes, de ces faux patriotes, qui disent que la Convention a beaucoup promis et rien tenu ; qui nous reprochent nos querelles, et se demandent le soir, si les deux partis se sont pris aux cheveux le matin, comme si les chiens devaient vivre en paix avec les loups ; de ces royalistes déguisés, je le répète, qui ne pouvant s’empêcher de condamner le côté droit, cherchent à faire tomber le blâme sur les deux partis de la Convention, afin de nous donner un Louis XVII à la place de l’assemblée nationale; en dépit de toutes ces clameurs, je vois s’élever la colonne où la postérité plus reconnaissante, gravera le nom de ces hommes courageux qui ont entraîné la majorité, et scellé avec le sang du tyran, le décret qui déclare la France république. Quelque mêlée que soit la Convention de traîtres et de scélérats, plus odieux que Desrues, je ne crains pas de soutenir qu'il n’y eut jamais d’assemblée dans l’univers, qui dut donner à une nation d’aussi grandes espérances. Qu’on considère de quel degré de corruption nous sommes partis. Qu’on considère, pour répéter ce que je citais encore dernièrement, qu’un homme qui n’avait fait que voyager toute sa vie, répondait, il n’y a pas bien des années, "qu’il aurait bien voulu se fixer dans quelque ville ; mais qu’il n’en avait trouvé aucune où la puissance et le crédit fussent entre les mains

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des gens de bien". Partout l’homme était réduit à être enclume ou marteau, vel prœda vel prœdo. Ce qui faisait dire à un ancien : je ne vois point de ville, que je ne croie entrer dans une campagne infectée de la peste, où on n’aperçoit autre chose, que des cadavres qui sont dévorés et des corbeaux qui dévorent. Malgré les proclamations de Cobourg, et les calomnies des Zoïles de la révolution, il faut avouer pourtant que Pétrone, s’il écrivait de nos jours, ne pourrait tenir le même langage. La représentation nationale s’épure chaque année. De douze cents, bien peu sont sortis purs de l’assemblée constituante, et leur nombre tamisé dans la Convention, est devenu plus petit encore. L’assemblée législative, moins nombreuse, a fourni plus de députés fidèles au peuple. La Convention en montre un bien plus grand nombre encore. Sans doute le quatrième scrutin épuratoire, donnera dans l’assemblée une majorité permanente et invariable aux amis de la liberté et de l’égalité, surtout lorsqu’il n’y aura plus un garde-meuble à piller, et un Clavière pour gardien du trésor public. Les talents si nécessaires aux fondateurs de la république française, ne manqueront pas à l'assemblée des représentants de la nation. Il est impossible que les têtes fermentent pendant quatre années de révolution et de discordes civiles, dans un pays tel que la France, sans qu’il ne s’y forme un peuple de citoyens de politiques et de héros. Il est dans la Convention une foule de citoyens, dont on n’a remarqué encore que le caractère, mais dont on reconnaîtrait bientôt le mérite, si l'organisation de nos assemblées nationales n’était plus favorable au développement du babil que du talent, et si la méditation avec la faiblesse de l’entendement humain, pouvait se faire à cette continuité de séances, sans aucune solution, et à cette législature, en poste et sans relais. ( 1  ) ( 1 )L’Assemblée nationale de la république Française ne sera jamais à sa hauteur, que lorsqu’elle séjournera ou prorogera ses séances, selon la difficulté des temps; lorsqu’elle n’aura, par exemple, que trois ou quatre séances par semaine, et que les autres jours seront consacrés au travail des comités. On n’a jamais vu aucun peuple condamner les législateurs à faire des lois, comme un cheval aveugle à tourner la meule jour et nuit. Qu’on se souvienne qu’une seule loi, chez les Romains, était discutée pendant 27 jours, et pendant 19 à Athènes, et qu’il y a telle séance où nous rendons 20 ou 30 décrets; et on sera surpris de la facilité de tant d’improvisateurs de législation, qui se précipitent tous les jours à 1a tribune, où on ne devrait venir qu’avec des idées dignes de la révolution et de sa majesté du peuple français ; pendant que J.J. Rousseau avoue qu’il y a telle phrase qui lui a coûté un jour à rendre digne de lui. Dans cet état de chose, on sent qu’on ne peut rien conclure du silence d’un député contre son mérite ; car le député pénétré de ses devoirs, n’a pas trop de tout son recueillement pour remplir sa tâche ; je ne dis pas avec éclat et en orateur, mais obscurément, et par assis et levé. Cette permanence des séances tous les jours, est un des moyens les plus infaillibles pour déconsidérer l’assemblée nationale. On a compris que, quelque profonde que fût la superstition, et même en Basse-Bretagne, les prêtres auraient bientôt déconsidéré leur religion, s’ils carillonnaient et messaient solennellement tous les jours. Ces talents ont déjà percé dans les grandes questions, qu’on n’a pas fait décréter, sans désemparer, telle que celle de l’appel au peuple, du jugement de Louis XVI, etc. etc. Il suffirait de la seule discussion dans le procès du tyran, pour venger la Convention de ses détracteurs. Ceux qui ont détruit le prestige de la royauté, et envoyé à l’échafaud un roi de France, parce qu’il fut roi, ne sauraient être avilis dans l’opinion des peuples. Nous avons tenté une expérience sublime, et dans laquelle il nous

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serait glorieux a jamais, même d'avoir succombé, celle de rendre le genre humain heureux et libre. Mais nous ne succomberons point, et cette nouvelle tempête qui menace la république Française, n’aura d’autre effet que, comme les vents sur un arbre vigoureux, d'en affermir les racines, lorsqu’il en est battu avec le plus de violence. Le vice était dans le sang. L’éruption du venin au dehors, par l’émigration de Dumourier et de ses lieutenants, a déjà sauvé plus qu’à demi le corps politique; et les amputations du Tribunal révolutionnaire, non pas celle de la tête d’une servante qu’il fallait envoyer à l'hôpital, mais celle des généraux et des ministres traîtres ; le vomissement des Brissotins hors du sein de la Convention, achèveront de lui donner une saine constitution. Déjà 365 membres ont effigié tous les rois dans la personne de Louis XVI, et plus de 250 membres s’honorent d’être de la Montagne. Qu’on me cite une nation au monde qui ait jamais eu autant de représentant dévoués. Depuis près de 600 ans que les Anglais ont leur parlement, il ne leur est arrivé qu’une seule fois d’avoir, dans le long parlement, une masse de véritables patriotes et une Montagne; et cette masse, qui fit de si grandes choses, ne s'élevait pas à plus de 100 membres. Et à Rome, Caton ; en Hollande, Barnevelt et les deux de With, luttèrent presque seuls contre le génie et les victoires du Dictateur et du Stathouder.

Hâtons-nous d'ouvrir des écoles primaires ; c’est un des crimes de la Convention, qu'elles ne soient pas encore établies. S'il y avait eu dans les campagnes, sur le fauteuil du curé un instituteur national, qui commentât le droit de l'homme et l'almanach du Père Gérard, déjà seraient tombés des têtes des Bas-Bretons la première croûte de la superstition, cette galle de l'esprit humain ; et nous n'aurions pas, au milieu des lumières du siècle et de la nation, ce phénomène de ténèbres dans la Vendée, le Quimper Corentin et le pays de Lanjuinais, où des paysans disent à vos commissaires : faites-moi donc bien vite guillotiner, afin que je ressuscite dans trois jours. De tels hommes déshonorent la guillotine, comme autrefois la potence était déshonorée par ces chiens qu’on avait pris en contre-bande, et qui étaient pendus avec leurs maîtres. Je ne conçois pas comment on peut condamner à mort sérieusement ces animaux

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à face humaine; on ne peut que leur courir sus, non pas comme dans une guerre, mais comme dans une chasse; et quant à ceux qui sont faits prisonniers, dans la disette de vivres dont nous souffrons, ce qu’il y aurait de mieux à faire, serait de les échanger contre leurs bœufs de Poitou.

A la place de collèges de grec et de latin, qu'il y ait dans tous les cantons des collèges gratuits d’arts et métiers.

Amenons la mer à Paris, afin de montrer avant peu aux peuples et rois, que le gouvernement républicain, loin de ruiner les cités, est favorable au commerce, qui ne fleurit jamais que dans les républiques, et en proportion de la liberté d’une nation et de l'asservissement de ses voisins; témoins Tyr, Carthage, Athènes, Rhodes, Syracuse, Londres et Amsterdam.

Nous avons invité tous les philosophes de l'Europe à concourir à notre législation par leurs lumières; il en est un dont nous devrions emprunter la sagesse; c’est Solon, le législateur d’Athènes, dont une foule d'institutions sur-tout, semblent propres à s’acclimater parmi nous, et qui semble avoir pris la mesure de ses lois sur des Français. Montesquieu se récriait d’admiration sur les lois fiscales d’Athènes. Là, celui qui n’avait que le nécessaire, ne payait à l’état que de sa personne, dans les sections et les armées; mais tout citoyen dont la fortune était de dix talents, devait fournir à l’État une galère ; deux, s’il avait vingt talents ; trois, s’il en avait trente. Cependant, pour encourager le commerce, eût-on acquis d’immenses richesses, la loi ne pouvait exiger d’un Beaujon ou d’un Laborde, que trois galères et une chaloupe.

En dédommagement, les riches jouissaient d‘une considération proportionnée dans leur tribu, et étaient élevés aux emplois de la municipalité et comblés d'honneurs : celui qui se prétendait surtaxé par le département, avait le droit d’échanger sa fortune contre celui qui était moins haut en cotte d'imposition.

Là, il y avait une caisse des théâtres et de l’extraordinaire des fêtes, qui servait à payer aux comédiens de la nation les places des citoyens pauvres. C’étaient là leurs écoles primaires, qui ne valaient pas nos collèges d’arts et métiers, quand la Convention les aura établis.

Là, il n’y avait d’exempt de la guerre que quiconque équipait un cavalier d’armes et de cheval et l’entretenait; ce qui délivrait le camp

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d’une multitude de boutiquiers et de riches bourgeois qui ne pouvaient que lui nuire, et les remplaçait par une excellente cavalerie. Là, ceux d’une tribu, d’un canton étaient enrôlés dans une même compagnie ou le même escadron. Ils marchaient, ils combattaient à côté de leurs parents, de leurs amis, de leurs voisins, de leurs rivaux ; en sorte que personne n’osait commettre une lâcheté en présence de témoins aussi dangereux.

Là, il y avait pour tous ceux qui avaient bien mérité de la patrie, un prytanée, qu’il nous serait si facile d’imiter et même de surpasser, en faisant un magnifique prytanée de Versailles, et de tous les palais des despotes pour les héros de la liberté qui les auront vaincus.

Là, il y avait une institution la plus touchante qui se soit jamais pratiquée chez aucun peuple. Le dernier jour de la fête de Bacchus, après la dernière tragédie, en présence du sénat, de l’armée et d’une multitude de citoyens, un héraut, suivi des jeunes orphelins, fils adoptifs de la nation, les présentait au peuple avec ces mots : Voici des jeunes gens dont les pères sont morts à la guerre, après, avoir vaillamment combattus. Le peuple qui les avait adoptés, les a fait élever jusqu’à l’âge de 20 ans ; et aujourd'hui qu’ils ont atteint cet âge, il leur donne une armure complète, les renvoie chez eux, et leur assigne les premières places dans les spectacles.

Je conviens que nous n’avons pas encore transporté parmi nous toutes ces belles institutions ; je conviens que l’état des choses, en ce moment, n’est pas encore exempt de désordre, de pillage et d’anarchie. Mais pouvait-on balayer un si grand empire, qu'il ne se fit un peu de poussière et d’ordures ? La nation a souffert, mais pouvait-on s’empêcher de l’amaigrir en la guérissant ? Elle a payé tout excessivement cher ; mais c’est sa rançon qu’elle paye, et elle ne sera pas toujours trahie. Déjà nous avons eu le bonheur de remplir le serment le plus cher au cœur d’un citoyen, le serment que faisait le jeune homme à Athènes, dans la chapelle d’Agraule lorsqu’il avait atteint l’âge de 18 ans : « De laisser sa patrie plus florissante et plus heureuse qu’il ne l'avait trouvée ; » Nous avions trouvé la France monarchie, nous la laissons république.

Laissons donc dire les sots qui répètent tous les jours, ces vieux propos de nos grand-mères : que la république ne convient pas à la

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France. Les talons rouges et les robes rouges les courtisanes de l’Œil-de-bœuf et les courtisanes du Palais royal, la chicane et le biribi, le maquerélage et la prostitution, les agioteurs, les financiers, les mouchards, les escrocs, les fripons, les infâmes de toutes les conditions, et enfin les prêtres qui vous donnaient l'absolution de tous les crimes, moyennant la dîme et le casuel ; voilà les professions, voilà les hommes, à qui il faut la monarchie. Mais, quand même il serait vrai que la république et la démocratie n’auraient jamais pu prendre racine dans un état aussi étendu que la France, le dix-huitième siècle est, par ses lumières, hors de toute comparaison avec les siècles passés; et si un peintre offrait à vos yeux une femme, dont la beauté surpassât toutes vos idées, lui objecteriez-vous, disait Platon, qu’il n'en a jamais existé de si parfaite ? Pour moi, je soutiens qu'il suffit du simple bon sens pour voir qu’il n’y a que la république qui puisse tenir à la France, la promesse que la monarchie lui avait faite en vain depuis deux cents ans : la poule au pot pour tout le monde.

Post-Scriptum

Ce fragment ne contient pas peut-être la dixième partie des faits de l'histoire des membres du côté droit, la plupart de ces faits, ou ayant été enveloppés d’épaisses ténèbres, et couverts d’un secret impénétrable, ou s’étant passés trop loin de ma lorgnette, et tout-à-fait hors de sa portée, c’est au temps et au hasard qu’il est réservé de nous révéler certaines anecdotes, comme celle, aussi certaine qu’étrange, que j’ai racontée dans le numéro 4 de la tribune des patriotes, sur la mort de Favras. C’est ainsi que le temps nous apprendra comment le ci-devant prince de Poix s’échappa de la Mairie, le lendemain du 10 août, et quel ange endormit ses gardes, et le sortit de chez le maire Pétion aussi miraculeusement que St. Pierre ès liens. Son valet de chambre apprendra sans doute à l’histoire, s’il dut ce prodige aux cent mille écus donnés à des gardiens en écharpe, comme on l’a dit dans le temps, et quelle est la véritable explication de ce phénomène, de celle-ci ou de cette autre que je me suis laissé donner, et qui n’est pas sans vraisemblance. Non seulement, comme tout le monde sait, et comme cela est si bien développé dans la septième lettre de Robespierre à ses commettans (lettre, quoiqu’on puisse dire, comparable à la meilleure des provinciales, pour l’atticisme et la finesse de la plaisanterie), Jérome Pétion ne voulait point de la journée du 10 août, et récalcitrait de toute sa force ;

non seulement il avait visité les postes du château, ainsi que Rœderer, et donné la bénédiction municipale aux Suisses et aux chevaliers du poignard ; mais au moment de l’arrestation de Mandat Antoine Galiot Mandat de Grancey né en 1731 à Paris. Commandant général de la Garde nationale. Il défend les Tuileries lors de l'insurrection du 10 août 1792. Se rendant à l'Hôtel de Ville il sera abattu d'un coup de pistolet. , il fut même accusé, à la Maison Commune, lorsque ce commandant général trouvait sur le perron le châtiment de son crime, de lui avoir signé l’ordre de faire feu sur le peuple, le cas de l’insurrection échéant ; et je tiens de bon lieu, que c’est à cet ordre, signé Pétion, que Philippe Noailles a dû son salut. On prétend que, soit que cet ordre leur eût été remis par Mandat, ou qu’elles se fussent fait livrer, n’importe comment, cet écrit précieux, des personnes qui touchaient de fort près le ci-devant prince de Poix, avaient cet ordre dans leurs mains, lorsqu’elles vinrent solliciter Pétion de le mettre en liberté ; et comme le maire faisait difficulté de prendre sur lui l’élargissement périlleux du capitaine des gardes, elles le déterminèrent, par un péril plus grand, à sauter le fossé, et lui montrant ce papier, le menacèrent, s’il ne sauvait son prisonnier de la guillotine, de le conduire lui-même sous le fatal rasoir, par le moyen de cet écrit; et on a prétendu qu’alors Jérôme Pétion ne se le fit pas dire deux fois, et trouva une porte de derrière, par laquelle il fit sortir le capitaine des gardes, qui court encore.

J’ai même omis des faits de notoriété, tels que celui que Meaulle a articulé à la tribune, qu’il savait de science certaine, que les meneurs du côté droit avaient voulu faire égorger la Montagne, dans le temps que l’un d’eux, Barbaroux, osa donner l’ordre au second bataillon de Marseille, de sortir de ses casernes, et le requérir d’investir la Convention nationale, la veille du jugement du roi. Mais il suffit de ce que j’ai raconté, pour que le procès du côté droit soit regardé comme fait et parfait; et il est évident, par exemple, que sur les pièces authentiques que j’ai citées, concernant Roland, il aurait dû être traduit au tribunal révolutionnaire, à l’instant même où le scellé a eu livré au comité de sûreté générale ces pièces, d’après lesquelles sa condamnation ne peut pas être douteuse. N’est‑ce pas également une chose indigne, que ses complices de contre‑révolution, responsables avec lui de tout le sang qui coule dans la Vendée, Clavière et le Brun soient encore dans le ministère ; et ai‑je tort, d’après une négligence si impardonnable, d’accuser la mollesse du comité de salut public.

La Société, dans sa Séance du 19 Mai 1793, l’an 2e de la République une et indivisible, a arrêté l’impression, la distribution et l’envoi de cet Ouvrage aux Sociétés affiliées.

Signé, BENTABOLE, Président ; Champertois, Vice‑Président ; Coupé de L’Oise, Duquesnoy, Sambat, Coindre, Députés, Prieur, Secrétaires.

Procès des Girondins

Pendant cette période, alors que Brissot et les girondins sont en cours de jugement, la Société des Jacobins va demander à accélérer les procès, comme on peut le voir dans cet extrait de débats à la Convention nationale en date du 29 octobre 1793 ( Moniteur universel du 30) et portant sur un durcissement des procès. Ci‑dessous un exemple de débat entre Audouin, Osselin, Robespierre et Barrere.

Séance du 8 brumaire [29 octobre 1793, le procès des députés girondins est en cours] à la Convention nationale.

On admet à la barre une députation de la société des Jacobins. Audouin, orateur de la députation.

Audouin. Citoyens représentant, toutes les fois que la société des amis de la liberté et de l'égalité a des alarmes, elle vient les déposer dans votre sein. Ne vous en étonner pas. Depuis que ses ennemis ne sont plus dans vos rangs, ici comme aux jacobins, nous sommes au milieu des amis de la liberté et de l'égalité. Vous avez créé un tribunal révolutionnaire chargé de punir les conspirateurs. Nous croyions que l'on verrait ce tribunal découvrant le crime d'une main et le frappant de l'autre ; mais il est encore asservi à des formes qui compromettent la liberté.

Quand un coupable est saisi commettant un assassinat, avons‑nous besoin pour être convaincu de son forfait de compter le nombre des coups qu'il a donné à sa victime ?

Eh bien ! les délits des députés sont‑ils plus difficile à juger n'a‑t‑on pas vu le squelette du fédéralisme ? Des citoyens égorgés, des villes détruites, voilà leurs crimes. Pour que ces monstres périssent, attend‑on qu'ils soient noyés dans le sang du peuple. Le jour qui éclaire un crime d'état ne doit plus luire pour les conjurés. Vous avez le maximum de l'opinion, frappez. Nous proposons :

1° de débarrasser le tribunal révolutionnaire des formes qui étouffent la conscience et empêchent la conviction;

d'ajouter une loi qui donne aux jurés la faculté de déclarer qu'ils sont assez instruits ; alors, et seulement alors, les traîtres seront déçus et la terreur sera à l'ordre du jour.

Osselin. Il y a dans cette pétition deux partie essentielles et séparées . La première tend à débarrasser le tribunal révolutionnaire des formes qui retarde sa marche. Celle‑ci doit être renvoyée à l'examen du comité de législation. La seconde tend à décréter que les jurés pourront, quand leur conscience sera assez éclairée, demander que les débats cessent. Cette partie n'a pas besoin d'examen, elle est claire et précise, n'a pas besoin d'examen je la convertis en motion, et je demande qu'elle soit décrétée.

La proposition d'Osselin est adoptée.

Osselin, présente la rédaction du décret rendu sur la pétition de la société des Jacobins.

Robespierre. La rédaction qui vous est proposé ne vous conduit pas au but que vous voulez atteindre ; votre but est d'empêcher qu'on ne rende interminable les procès des conspirateurs. Vous voulez qu'une prompte justice soit rendue au peuple tout en faisant jouir les accusés de l' établissement bienfaisant des jurés. La rédaction est trop vague, elle laisse les chances dans l'état où elles sont. En voici une qui concilie les intérêts des accusés avec le salut de la patrie. Je propose de décréter qu'après trois jours de débats, le président du tribunal demandera aux jurés si leur conscience est assez éclairée ; s'ils répondent négativement, l'instruction du procès sera continuée jusqu'à ce qu'ils déclarent qu'ils sont en état de prononcer.

Osselin. La proposition de Robespierre ne doit pas être admise parce que les jurés doivent faire leur déclaration, sans qu'elle ait été provoquée. Ils ne peuvent arrêter les débats que lorsqu'ils sont convaincus, et la conviction ne se provoque pas.

Barrere. J'appuie la proposition de Robespierre, elle n'est pas comme le dit Osselin, une provocation, mais une demande qui laisse aux jurés, toute leur liberté ; ils répondront, d'après leur conscience et feront continuer l'instruction s'ils ne sont pas assez éclairés. La liberté de la Convention est‑elle gênée, lorsque dans une discussion le président la consulte pour savoir si elle veut la fermer. Je demande que la proposition de Robespierre soit adoptée.

La proposition de Robespierre est décrétée.

Osselin présente une nouvelle rédaction, qui est adopté.

Les députés girondins sont en cours de jugement. Le tribunal criminel extraordinaire (Fouquier Tinville accusateur public) se plaint de la lenteur du procès. Les droits des accusés vont être de plus en plus réduits à peau de chagrin. Selon l'accusation les acccusés sont coupables et déjà jugés d'avance, comme on peut le lire ci‑dessous !

On lit une lettre du tribunal criminel extraordinaire, dont voici l'extrait :

" La lenteur avec laquelle marchent les procédures instruites au tribunal criminel extraordinaire, nous forcent de vous présenter quelques réflexions. Nous avons assez donné des preuves de notre zèle, pour n'avoir pas à craindre d'être accusé de négligence : nous sommes arrêtés par les formes que prescrit la loi. Depuis cinq jours, le procès des députés que vous avez accusé est commencé, et neuf témoins seulement ont été entendus. Chacun en faisant sa déposition, veut faire l'historique de la révolution. Les accusés répondent ensuite aux témoins, qui répliquent à leur tour ; ainsi il s'établit une discussion que la loquacité des prévenus rend très longue. Et après ces débats particuliers, chaque accusé ne voudra‑t‑il pas faire une plaidoirie générale ? Ce procès sera donc interminable. D'ailleurs on se demande pourquoi des témoins ? La Convention, la France entière accuse ceux dont le procès s'instruit ; les preuves de la crime sont évidentes. Chacun a dans son âme la conviction qu'ils sont coupables. Le tribunal ne peut rien faire par lui‑même, il est obligé de suivre la loi. C'est à la Convention à faire disparaître toutes les formalités qui entravent sa marche."

Osselin. Je demande le renvoi de cette lettre au comité de législation, qui s'entendra avec le comité de Salut public, auquel le tribunal extraordinaire a déjà fait les observations qu'il vient de présenter à l'Assemblée.

Cette proposition est décrètée.

Dans la foulée Billaud Varennes prend la parole et en rajoute :

Je demande la parole sur le décret que vous venez de rendre. Lorsque vous creâtes le tribunal qui devait juger les conspirateurs, la faction scélérate, dont les principaux chefs vont recevoir le châtiment dû à leurs crimes, employa toutes sortes de manoeuvre pour que ce tribunal fut nommé tribunal extraordinaire , ils avaient leur but, il voulait le lier par les formes. Nous qui voulons qu'il juge révolutionnairement, appelons-le révolutionnaire. Pénétrez-vous bien de cette vérité que les conspirateurs ne laissent point de traces matérielles de leurs crimes. Les témoins déposent sur des faits particuliers ; mais dans une conspiration que la nation entière atteste, qu'est-il besoin de témoins ? Imitez les conspirateurs eux-mêmes. À Lyon les patriotes étaient égorgés sans formalités, celui qui passait devant un corps de garde sans porter dans sa poche la preuve de sa scélératesse, était saisi et fusillé à l'instant. Rappelez-vous ce que dit Salluste Homme politique romain (-86 / -34). Il aurait dit aussi : "la paix est l'intervalle de temps entre deux guerres". En matière de conspiration on ne saurait avoir trop de sévérité ; c'est la faiblesse qui anéantit les révolutions.

Je demande que vous donniez à ce tribunal le nom qu'il doit avoir, c'est à dire, qu'il soit appelé tribunal révolutionnaire. Cette proposition est décrétée.

Extrait du moniteur du 31 octobre 1793 page 162 qui porte sur le procès de Brissot et de "ses complices". Comme on peut le lire un peu plus bas, la conception du rôle de l'avocat, par la Commune de Paris est assez particulière.

Séance de la Commune de Paris, Conseil général du 8 brumaire. [29 octobre]

Gaillard lit un rapport sur la demande qui lui avait été faite dans l'avant dernière séance de rendre compte de l'emploi d'un carton où se trouvait des pieces relatives à Brissot. Il se plaint beaucoup de l'état de désordre où sont les archives, par la faute de Ducos, et il paraît par son discours que le carton, ainsi que beaucoup d'autres sont égarés.

Chaumette. On vous entretient d'un carton qui contenait les crimes de Brissot, et l'on semble faire de ce carton la boîte de Pandore. La société ne doit pas être compromise pour un carton , car j'avertis que celui qui contient les crimes de Brissot, n'a pour parois que les limites de la République. Tous les patriotes ont le droit d'accuser à cette tribune l'homme qui vota la guerre....., et les débris de Lyon, le sang qui a été répandu dans la République, et hors de la République seront leurs preuves et leurs raisons ; mais qu'on ouvre ses feuilles.....Partout vous y verrez la trace de ses crimes ; c'est là que vous devez les chercher tous. C'est pourtant sur feuilles que se retranchent ses défenseurs ; ils croient pouvoir se sauver en commentant et interprétant quelques phrases hypocrites ; c'est à vous à rétablir les faits dans leur intégrité ; c'est à vous à dévoiler le crime qui se cache.

Le tribunal révolutionnaire est devenu un tribunal ordinaire , il juge les conspirateurs comme il jugerait un voleur de portefeuille. Ou doit sentir la différence qui existe entre ces deux hommes. Le premier a foulé aux pieds les lois de son pays, celles de la nature et de l'humanité ; l'autre au contraire, coupable d'un petit délit et possiblement innocent, doit subir bien des formalités avant que la loi prononce sur son compte une peine que peut-être il n'a pas méritée.

Les hommes qui sont au tribunal révolutionnaire ont formés un projet ; les séances sont publiques et dix mille personnes vous eu rendront témoignage. Ils ont voulu se justifier aux yeux du peuple, et du moins passer pour innocents auprès de la postérité. Ils ont compté sur leur éloquence.

Un d'eux, dont on connait l'adresse, Vergniaud, au moment où un représentant du peuple l'accusait , fit des observations. Il est bien étonnant, disait-il, que la municipalité de Paris qui nous a fait accuser à la barre , que les représentants du peuple qui nous ont accusé dans la Convention, viennent ici témoigner encore contre nous. Un témoin se leva et dit qu'il ne pouvait laisser cette observation de Vergniaud sans réponse : ce n'est pas le magistrat du peuple, ce n'est pas son représentant qui viennent ici témoigner, ce font des citoyens qui sont lésés dans la patrie comme membres de la patrie que vous avez déchirée.

Je fis moi-même cette observation : fesiez-vous tant de difficultés quand vous accusâtes Marat dans la Convention, et que vous vîntes encore témoigner contre lui dans cette enceinte ?

Je demande que la société, en remplacement du carton dont il ne faut plus s'occuper, nomme une commission pour recueillir les journaux de Brissot, de Gorfas, qui avait moins d'esprit qu'eux, mais qui écrivait sous la dictée de ces hommes de la faction, et qu'on les envoie au tribunal révolutionnaire pour les juger d'après son examen ; je demande aussi que la société nomme dans son sein une députation, pour aller demander à la Convention qu'elle délivre le tribunal de toutes les formes superflues dans les jugements de ces coupables.

Hébert. Le grand jury a déjà prononcé ; l'opinion publique est fixé sur les crimes de cette faction atroce, et avant que le tribunal fut formé, elle les condamnait. Je pense que le tribunal agit comme on le ferait en pleine paix dans une affaire civile, où il faut que les formes garantissent la sûreté, la propriété des citoyens ; mais en révolution rien ne garantit les peuples contre une contre‑révolution.

On sait bien que Brissot, Gensonné ; on sait bien que l'incendiaire du Calvados, Duchâtel, que le prêtre Fauchet qui prêchait la République et la loi martiale parmi les tripots du Palais-Royal ; on sait bien que cela ne peuvent pas échapper : mais bien un phénix que l'on veut faire renaître de sa cendre : c'est Vergniaud. Déjà plusieurs femmes aimables s'intéressent à lui, publient qu'il se défend comme un ange, et qu'il apporte de bonnes raisons à ses accusateurs.

C'est là vraiment le coupable : celui à qui la nature a donné une bonne tête, un jugement sain pour se garantir des séductions, et qui pourtant tombe dans le piège ; que dis-je ! qui emploie ces mêmes avantages pour y faire tomber les faibles, et les hommes mâles instruits.

Il en est un autre aussi que les femmes veulent sauver, parce que, et il en faut convenir, il est joli ; c'est celui que Marat appelait le furet de la Gironde ; car on sent que celui -ci dans une affaire aussi astucieuse, aussi compliqué, celui qui faisait le métier de furet, ne jouait pas le rôle moins important. Ses liaisons avec madame Condorcet lui garantissent le parti de toutes les femmes de sa clique. C'est Ducos, c'est celui-là que les femmes ont pris sous leur sauvegarde.

Il est bien singulier que jamais on n'ait voulu comprendre dans une affaire, tout ceux qui y ont trempé.

On jugea Capet et sa femme et leurs nombreux complices restent impunis ; on jugea Custine, et ses complices sont encore dans les armées. J'ai vu sur la soeur de Capet des traits qui peignent sans réplique cette femme atroce ; c'est elle qui accompagna son frère à la revue des assassins du peuple, dans sa fuite et dans toute ses démarches contre‑révolutionnaires, qui lui en souffla un grand nombre ; on sait qu'elle se défit de ses diamants pour les envoyer à l'homme qui avait provoqué sur le fer et le feu ; il est mille traits d'elle qui devrait déjà l'avoir conduite à l'échafaud ; on en parle point non plus, et sans doute on veut ainsi la soustraire à la justice, à la vengeance du peuple.

On ne parle pas davantage dans l'affaire Brissot de la femme Roland qui a fait tant de mal, qui dirigeait tout, de Bailly, Manuel, Lafayette etc. Tout cela doit-il échapper. Non, sans doute.

Il n'est pas nécessaire d'envoyer comme dit Chaumette une collection des écrits de Brissot ; il est bien d'autres preuves, on en trouvera qui inculpent également ces hommes pervers; tous ceux que je viens de nommer, beaucoup d'autres encore, et surtout la soeur de Capet que je m'indigne de voir encore existante après tant de crimes.

Il est bien vrai qu'un décret dit que cette famille après la paix sera exportée et abandonné à son sort ; mais cette loi n'a lieu que quand ils n'ont pas commis le crime, et certes, celle-ci n'est pas dans ce cas.

Je demande donc que, pour contreminer tout ce qu'ont fait les aristocrates dans les circonstances dernières, la société recueille tous les faits qui ont eu lieu dans le procès de Capet, de sa femme, et de tous les grands criminels ; d'abord pour instruire nos contemporains qu'on égare ; en second lieu, pour laisser à la postérité des matériaux sûrs où elle puisse venir puiser la vérité qu'on déguise.

Je demande aussi qu'on surveille de près ceux qui vouent leur talent à la royauté, qui ont défendu, défendent, et défendraient encore tous les rois de la terre.

Quand la superstition avait tellement abruti les hommes que l'excommunication d'un pape en isolait un au point que personne n'aurait voulu toucher le bout de son habit ; n'est-il pas étonnant que les républicains ne puissent pas faire pour la patrie ce qu'ont fait pour une superstitieuse religion tant d'hommes égarés.

Quel exemple n'eût-ce pas été pour tous les rois de l'Europe, si, au moment où nous étions assailli par eux tous à la fois, au moment où une femme de leur sang impur, accusé par tous les peuples, était traduite à son tribunal, il ne se fut pas trouvé un seul homme, même par l'ordre du tribunal, qui voulut se charger de la défense de cette scélératesse.

Je demande qu'une députation aille demander à la Convention le jugement de Brissot et consorts dans les vingt-quatre heures.

Chaumette. Les rois ne sont pas les seuls grands criminels ; les fédéralistes le sont de même. Je demande qu'on regarde comme mauvais citoyens tout homme qui se chargera de défendre un conspirateur. Le conjuré, le fédéraliste ne doivent pas trouver de protecteurs, de défenseurs parmi les républicains.

Il faut que le jugement se fasse ainsi qu'à Rome ou du capitole le coupable passé à la roche tarpéienne lieu des exécutions à Rome. .

Je demande qu'on voue au plus parfait mépris et à l'exécration les hommes qui défendront les assassins du peuple, et que cet arrêté soit envoyé aux tribunaux criminels, aux 48 sections et aux sociétés populaires. Arrête.

Hébert. Il est bon de dire à la société, sur l'un de ces hommes qui a défendu la veuve Capet, un trait qui les caractérise tous. Il dit dans son interrogatoire " N'est-ce pas assez de deux grandes victimes qui ont déjà péri ? en faut-il encore une autre ? Je demande s'il est rien de plus hardi, de plus criminel, et qui prouve mieux de quel bord sont tous ces gens-là.

On met aux voix la proposition faite par Hébert, d'aller demander à la Convention le jugement de Brissot dans les 24 heures ; elle arrête qu'elle ira en masse , et invite les tribunes à se joindre à elle.

La séance est levée à 9 heures et demie.

Il est évident à la lecture des débats à la Commune de Paris que les Girondins mis en accusation allaient être condamnés. La défense des accusés est presque impossible au vu des risques pris par un quelconque avocat. Nous ne sommes qu'à la fin 93. La Terreur va encore durer.

Il en est fait état dans le Moniteur universel du 1er Novembre 1793.

Paris, 10 de brumaire [31 octobre 1793]

Hier 9 brumaire, à 11 heures du soir, le procès de Brissot et ses complices a été terminé. Le jury s'étant déclaré assez instruit, a passé aux opinions.

Sur les questions posées par le président , il a fait unanimement les deux déclarations suivantes :

1° il a existé une conspiration contre l'unité et la sureté du peuple français.

2° Tous les individus ci-après désignés, savoir :

Brissot, Vergniaud, Gensonné, Duperret, Carra, Gardien, Valazé, Duprat, Sillery, Fauchet, Ducos, Boyer-Fonfrède, Lasource, Lesterp-Beauvais, Duchâtel, Mainvielle, Lacaze, Lehardy, Boileau, Antiboul et Vigée, sont convaincus d'être les auteurs ou complices de la conspiration.

L'accusateur public entendu sur l'application de la loi , le jugement suivant a été rendu : Le tribunal condamne à la peine de mort les ci-dessus désignés ; déclare leurs biens acquis et confisqués au profit de la République : ordonne que le présent jugement sera exécuté sur la place de la Révolution, à la diligence de l'accusateur public, imprimé et affiché où besoin sera.

Valazé , l'un des condamnés, s'est poignardé, après avoir entendu son jugememt. Il a été ordonné que le cadavre serait conduit en particulier sur une charrette à la place de la Révolution, pour être, avec les autres condamnés, présenté à l'échafaud et inhumé dans ce même lieu. L'exécution a eu lieu aujourd'hui à midi.